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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 36e Législature
Volume 137, Numéro 142

Le mardi 1er juin 1999
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mardi 1er juin 1999

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Français]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

M. Elie Wiesel

Remise d'un doctorat honorifique de l'Université de Montréal

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Honorables sénateurs, la semaine dernière, l'Université de Montréal décernait un doctorat honoris causa à un écrivain illustre, Elie Wiesel, prix Nobel de la paix de 1986. J'ai été particulièrement fasciné par ce penseur, cet essayiste, cet homme de lettre et ce philosophe.

À l'occasion de la remise de son doctorat, Elie Wiesel remarquait: «Si le mal montre son visage, il faut vite intervenir.» Pour lui, c'est le onzième commandement. Il ajoutait: «Si on était intervenu tout de suite, on aurait sauvé des vies en Bosnie, au Rwanda, en Irak.»

Cet homme est à l'écoute; il fait preuve d'ouverture d'esprit. Sa vie témoigne de la profondeur de sa pensée.

Il est actuellement en mission spéciale d'observation auprès des réfugiés kosovars dans les Balkans. Sa tâche n'est pas facile. Les débats continuent. Les assemblées parlementaires dans nos démocraties traitent de cette question et des réponses qu'on peut y apporter. À mon avis, la mission de ce grand écrivain, Elie Wiesel, est bien inspirée. Nous lui souhaitons toute la chance qu'il mérite bien dans son entreprise.

[Traduction]

Le commerce international

Les effets négatifs des accords de libre-échange

L'honorable Eugene Whelan: Honorables sénateurs, je dois dire que je crains bien que le Canada ait perdu de sa souveraineté en concluant des accords commerciaux internationaux.

Je tiens certes à dire bien clairement que je ne m'oppose pas à ce qu'on élimine autant que possible les restrictions au commerce. Toutefois, je ne pense pas qu'il faille conclure des accords de libre-échange à tout prix, en cédant en échange notre droit d'aider nos citoyens et de protéger leur santé de même que leur environnement. Je suis entièrement d'accord avec notre ministre du Commerce international, Sergio Marchi, lorsqu'il dit que «la libéralisation des échanges ne veut pas dire uniformité, ni qu'un pays doit vendre son âme pour vendre ses produits».

Il semble cependant que, dans le cas de l'ALENA et de l'OMC, nous ayons peut-être déjà vendu notre âme. Par exemple, les pétrolières canadiennes ajoutent du MMT dans notre essence, même s'il est réellement possible qu'un niveau relativement faible de manganèse dans le sang ait des effets nocifs pour la santé, notamment des enfants et des personnes âgées. Or, en vertu de l'ALENA, nous ne pouvons pas interdire l'importation ni l'utilisation du MMT dans notre pays.

Nous constatons la même chose dans le cas de l'utilisation de la STBr pour accroître la production de lait. Nous n'avons pas autorisé l'utilisation de la STBr au Canada à cause d'inquiétudes concernant ses effets nuisibles pour la santé des animaux. Toutefois, comme nous ne pouvons pas prouver de façon concluante que la consommation à long terme de lait produit de cette façon peut nuire aux humains, nous ne pouvons pas interdire l'importation de produits du lait donné par les vaches traitées à la STBr. En même temps, nous contestons la décision de l'Union européenne d'interdire le boeuf canadien parce que nous avons approuvé l'utilisation des hormones de croissance pour l'élevage de nos bovins alors que les Européens ne l'ont pas approuvée.

Aux termes d'une décision rendue récemment par l'OMC, nous constatons que nous ne pouvons plus utiliser nos offices de commercialisation du lait pour fixer le prix que nous recevons pour le lait consommé au Canada tout en exportant le lait à un prix concurrentiel. Autrement dit, il ne suffit pas de réduire nos exportations, nous devons également accroître le marché du lait et des produits laitiers.

(1410)

Avant d'entreprendre de nouvelles négociations commerciales, je suggérerais que nous soyons très prudents et que nous n'acceptions aucune condition qui pourrait restreindre notre droit souverain d'aider nos producteurs ou de protéger notre environnement. Si nous ne protégeons pas ces droits, nous serons à la merci des sociétés multinationales qui nous traitent comme bon leur semble. Ces dernières ne s'intéressent qu'à l'accroissement de leurs profits et font très peu de cas de l'environnement ou de la santé de nos gens.

Nous devons préciser très clairement à nos négociateurs que nous ne voulons pas que l'on se serve de nous pour mener des expériences sur les méthodes de production dangereuses pour l'environnement, pas plus que nous ne voulons que nos gens servent de cobayes pour les essais sur les aliments génétiquement modifiés. Ils doivent comprendre très clairement que nous ne voulons pas du libre-échange à n'importe quel prix.

La protection des renseignements financiers

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, j'aimerais attirer de nouveau votre attention sur un sujet dont j'ai parlé à bon nombre de reprises au Sénat relativement au droit des clients des banques à la protection des renseignements ayant trait à leur situation financière.

Nous avons souvent discuté de cette question au cours des rencontres du comité sénatorial des banques, nous intéressant à l'utilisation par les banques des renseignements financiers personnels et nous demandant quand les banques devraient avoir le droit d'intervenir en tant que telles dans d'autres secteurs commerciaux, par exemple pour vendre des assurances ou louer des voitures à partir de leurs succursales. Il a toutefois fallu qu'un client de la Banque Royale communique avec le greffier du comité sénatorial des banques, lequel a par la suite communiqué avec tous les membres du comité, pour ramener un peu de réalisme dans une discussion parfois très théorique sur le droit à la protection des renseignements financiers.

La convention avec le client, qui accompagne toute nouvelle carte de paiement direct de la Banque Royale, souligne que cette convention s'applique dès que le client utilise sa carte pour la première fois. Ce document précise également que le client reconnaît avoir reçu et lu la «convention» et qu'il est d'accord avec tous les éléments qu'elle contient. Le client est donc censé avoir lu, compris et accepté tout ce qui était inscrit dans la convention avant d'utiliser sa carte.

La partie de la convention qui préoccupait la personne qui a écrit au comité des banques concerne «la collecte et l'utilisation des renseignements». Ces dispositions autorisent la banque à obtenir des renseignements auprès de bureaux de prêts et d'autres institutions financières. Le client consent à ce que la banque transmette les renseignements qu'elle a obtenus à un bureau de prêts et à d'autres institutions financières, ou encore elle peut elle-même utiliser ces renseignements pour évaluer la situation financière du client. Tout cela, sans que le client le sache ou y ait consenti explicitement.

La situation a été signalée à l'attention du BSIF, ou Bureau du surintendant des institutions financières. Pour toute réponse - ce qui prouve bien qu'il se soucie fort peu de la protection des renseignements personnels -, le bureau a déclaré ceci:

Dans la pratique générale des affaires et dans leurs activités courantes, les banques suivent leurs propres politiques et leurs propres directives.

La réponse de la Banque Royale a même été encore plus décourageante. La banque s'est félicitée d'avoir observé le code type de protection des renseignements personnels élaboré par l'Association des banquiers canadiens. Elle a dit ensuite que la partie de la convention traitant des renseignements personnels:

... repose sur la norme de la banque en matière de renseignements personnels [...] et sur les pratiques commerciales courantes de la banque.

Honorables sénateurs, il nous faut faire davantage, à savoir protéger la vie privée des Canadiens contre les institutions financières et autres qui abusent des renseignements personnels qu'elles possèdent sur eux.

Je suis impatient d'étudier le projet de loi 54 et d'assister à la comparution devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce du commissaire à la protection de la vie privée, qui n'a cessé de clamer que son bureau se voulait le surveillant de l'application des divers codes de protection des renseignements personnels élaborés par les institutions financières et d'autres institution.


AFFAIRES COURANTES

L'ajournement

L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que, lorsque le Sénat ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'à demain, le mercredi 2 juin 1999, à 13 h 30.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

Les enfants du divorce

Avis de motion d'affirmation et de résolution appuyant leurs droits

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, conformément au paragraphe 56(1) et à l'alinéa 58(1)i) du Règlement, je donne avis par la présente que, jeudi prochain, je proposerai:

Que le Sénat du Canada confirme son intérêt et son rôle unique, historique, constitutionnel et parlementaire à l'égard du divorce et de l'adoption de projets de loi sur le divorce, comme l'a démontré l'ancien comité sénatorial permanent sur le divorce, et que le Sénat continue d'affirmer son rôle spécial et son intérêt à l'égard de la situation des enfants du divorce;

Que le Sénat affirme qu'il réitère vigoureusement cet intérêt par sa décision de défendre le droit qu'ont les enfants du divorce de bénéficier de l'appui financier des deux parents selon leurs capacités respectives et par sa décision d'amender le projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur le divorce et d'autres lois en conséquence, lequel a été amendé par le Sénat le 13 février 1997, accepté par la Chambre des communes le 14 février 1997 et sanctionné par la Couronne le 19 février 1997;

Que le Sénat affirme qu'un corollaire de l'adoption par le Sénat du projet de loi C-41 en février 1997 était la volonté, la décision et l'intention de former un comité mixte du Sénat avec la Chambre des communes pour examiner la question encore jamais étudiée et jusque là négligée de la situation et du fonctionnement des enfants dans le régime existant de garde et de visite des enfants après un divorce;

Que le Sénat affirme que ce comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes a été créé par une résolution conjointe, proposée au Sénat le 9 octobre 1997 et adoptée au Sénat le 28 octobre 1997 et proposée à la Chambre des communes le 5 novembre 1997 et adoptée à la Chambre des communes le 18 novembre 1997;

Que le Sénat affirme que ce Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la garde et le droit de visite des enfants après un divorce a voyagé partout au Canada, a tenu de nombreuses séances, a entendu le témoignage de plus de 520 témoins et a présenté son rapport, intitulé: «Pour l'amour des enfants», au Sénat le 9 décembre 1998 et à la Chambre des communes le 10 décembre 1998;

Que le Sénat affirme que ce comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes a conclu que les parents divorcés et leurs enfants ont le droit d'entretenir des rapports étroits et permanents les uns avec les autres et, conséquemment, a recommandé que la Loi sur le divorce soit modifiée par le Parlement de manière à exprimer la nature conjointe des responsabilités parentales en insérant la notion juridique de « partage des responsabilités parentales » dans la Loi sur le divorce et aussi en incluant dans la définition de l'« intérêt supérieur de l'enfant » dans la Loi sur le divorce l'importance pour les deux parents de participer de manière valable à la vie de leurs enfants;

Que le Sénat affirme que, le 10 mai 1999, soit six mois après le dépôt du rapport du comité aux deux Chambres du Parlement et plus de deux ans après l'adoption du projet de loi C-41 en février 1997, la ministre de la Justice, Anne McLellan, a remis sa réponse ministérielle aux conclusions et aux recommandations du comité dans son document intitulé Réponse du gouvernement du Canada au Rapport du Comité mixte spécial sur la garde et le droit des enfants: Stratégie de réforme; qu'ayant accepté complètement les principales recommandations du comité et ayant reconnu que les lois actuelles sur le divorce ont des lacunes et auraient besoin d'être corrigées, elle a alors proposé un sursis de trois ans, soit jusqu'au 1er mai 2002, pour prendre des mesures législatives afin de corriger des lois sur le divorce qui sont manifestement lacunaires;

Que le Sénat affirme que la recommandation d'un comité du Parlement, le plus haut tribunal du pays, le Premier enquêteur de la nation, est la recommandation la plus élevée du pays et que les avis et conseils du Parlement représentent la forme la plus complète, la plus représentative, la plus constitutionnelle et la plus efficace des conseils qu'un gouvernement peut entendre; et que le Sénat affirme que le ministre responsable et le ministère ont une obligation morale, politique et constitutionnelle à l'endroit du Parlement d'accepter et de suivre les conseils du Parlement;

Que le Sénat affirme que le Parlement du Canada, par l'étude et l'examen qu'il a lui-même conduits et par ses conclusions, sait maintenant que les lois sur le divorce en vigueur au Canada sont lacunaires, insuffisantes et même nuisibles aux enfants du divorce, à leurs parents et aux membres de leur famille; et que le Sénat, connaissant les défauts des lois sur le divorce, a un impératif moral et une obligation parlementaire de corriger la situation immédiatement, parce que, étant au courant de la situation critique des enfants et du tort qui leur est fait, le Parlement se livre à un comportement déraisonnable par son inaction et sa négligence;

Que le Sénat affirme que la population du Canada appuie largement le droit qu'ont les enfants du divorce d'avoir des relations valables avec leurs deux parents et les membres de leur famille et, de plus, que le Sénat donne son soutien à tous les enfants, les parents et les familles affectés par le régime actuel de lois sur le divorce;

Et que le Sénat du Canada, en vertu de la théorie parens patriae et de son devoir en qualité de gardien et protecteur des enfants du divorce, prenne la décision de défendre et de protéger les enfants du divorce; et que le Sénat prenne la décision de faire valoir les besoins des enfants du divorce et leur droit de bénéficier du soutien émotionnel et financier de leurs deux parents; et que «pour l'amour des enfants» et dans l'«intérêt supérieur de l'enfant», le Sénat décide que le ministre responsable, soit la ministre de la Justice Anne McLellan, doit faire en sorte de présenter au Sénat ou à la Chambre des communes une loi sur le divorce afin de mettre en application sans tarder les recommandations du Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Le Cabinet du premier ministre

Les allégations concernant les intérêts financiers du premier ministre dans diverses affaires-Demande d'examen public-La position du gouvernement

L'honorable Marjory LeBreton: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Il se passe rarement une semaine sans que de nouvelles révélations soient faites au sujet de l'intervention directe du premier ministre pour l'octroi de fonds publics sous forme de prêts et de subventions à divers associés et amis dans sa ville et sa circonscription.

(1420)

Aujourd'hui, le National Post nous fait part d'un nouvel élément qui vient s'ajouter à cette affaire qui n'arrête pas de se corser. Transelec, une compagnie dont le président, M. Claude Gauthier, entretient des relations personnelles et politiques avec le premier ministre, s'est vu adjuger un contrat de 6,3 millions de dollars par l'Agence canadienne de développement international pour la réalisation d'un projet de distribution d'énergie électrique au Mali.

Outre qu'elle a été sélectionnée à partir d'une liste de seulement trois compagnies, comme par hasard toutes de la région du premier ministre, nous avons appris que la compagnie de M. Gauthier avait donné 10 000 $ pour soutenir la campagne électorale de M. Chrétien. Cette somme s'ajoute à un autre don de 5 000 $ et à un autre de 28 323 $, effectués ces cinq dernières années au Parti libéral du Canada.

Ce qui est encore plus alarmant, c'est que, pendant ces tractations, la compagnie de M. Gauthier a acheté pour 525 000 $ un terrain de la compagnie 161341 Canada Inc., dans laquelle M. Chrétien a des intérêts financiers et qui appartient au club de golf de Grand-Mère.

De graves questions sont en jeu dans cette affaire, honorables sénateurs. Des questions qui touchent directement les comptes envers le public et la confiance du public. Tout indique qu'il y a eu abus de fonds publics. Est-ce la façon du premier ministre de veiller à l'honnêteté et à l'intégrité du gouvernement?

Le leader du gouvernement au Sénat peut-il expliquer pourquoi le gouvernement refuse que les contrats de l'ACDI, l'octroi de fonds au club de golf, l'octroi de prêts et subventions à l'Auberge des Gouverneurs et l'adjudication, sans appel d'offres, d'un contrat de 190 000 $ pour l'aménagement d'un chemin menant à la résidence personnelle du premier ministre soient soumis à un examen transparent? Si ses actions sont tellement irréprochables, pourquoi le gouvernement n'accepte-t-il pas de faire procéder à une enquête et à une vérification indépendantes, de façon à tirer les choses au clair?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je prends la question du sénateur très au sérieux. Cependant, les accusations sont tout simplement fausses. Le sénateur LeBreton a dit que le premier ministre a un intérêt personnel et financier dans ces questions. Elle a employé le terme «a». Je répète que ces accusations sont fausses.

Le sénateur Kinsella: Comment le savez-vous?

Le sénateur Graham: Le premier ministre a dit qu'il avait vendu les actions qu'il détenait dans l'entreprise qui était propriétaire du club de golf. Depuis lors, il n'a jamais eu aucun intérêt financier dans cette entreprise.

Le sénateur LeBreton: Honorables sénateurs, selon ce même article, Howard Wilson, celui qu'on appelle le conseiller en éthique, a fait remarquer que Debbie Weinstein, la personne chargée du fonds de fiducie sans droit de regard du premier ministre, tente actuellement d'organiser une nouvelle vente de ces actions. Si le premier ministre a un intérêt, directement ou non, je voudrais savoir ce que c'est.

Ma question demeure. Le conseiller en éthique ne rend pas de comptes au Parlement ni à la population. S'il n'y a rien à cacher dans ce dossier, pourquoi ne pas soumettre ces investissements à une vérification indépendante, comme on l'a demandé à l'autre endroit?

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, comme beaucoup de sociétés dans tout le Canada, Transelec est connue depuis longtemps pour ses succès dans la réalisation d'importants marchés internationaux attribués avec l'aide de l'ACDI. Certains de ces marchés ont été attribués durant le mandat de l'actuel gouvernement.

Le projet du Mali, auquel le sénateur fait référence, a été confié à Transelec par voie d'appel d'offres. La décision a été laissée entre les mains d'un comité indépendant de sélection qui comprenait des représentants du gouvernement du Mali, qui sont chargés d'attribuer le marché.

Le sénateur LeBreton: Peut-être le leader du gouvernement devrait-il consulter son collègue de l'autre endroit, le ministre Pettigrew. Il semble qu'il ait donné à la Chambre des communes une réponse qui est contraire à celle que nous recevons maintenant.

Le leader du gouvernement au Sénat dit que Transelec est une société qui est en affaire depuis longtemps dans notre pays. Bien que je ne m'attende pas à obtenir une réponse aujourd'hui, je serais reconnaissante d'en obtenir une demain, peut-être, ou dans un avenir très rapproché, au sujet de la date de création de Transelec, de la personne qui l'a créée et des autres régions du monde où elle a fait des affaires.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je crois savoir que Transelec a fait des affaires dans différentes régions du monde et qu'elle a obtenu des contrats sous le gouvernement précédent.

Pour qu'on me comprenne bien, je précise que le personnel de l'ACDI a évalué les soumissions de sélection préalable selon les critères établis. Sept entreprises étaient admissibles et des soumissions ont été faites selon le processus normal.

Trois entreprises ont été invitées à présenter une offre chiffrée détaillée au comité de sélection, qui a pris la décision finale. Le comité de sélection était composé de deux représentants du gouvernement du Mali, d'un spécialiste de l'ACDI dans ce domaine de travail et d'un consultant de l'extérieur, un ingénieur. C'est ainsi que les choses se sont passées.

J'invite le sénateur à vérifier les faits avant de poser des questions, plutôt que de porter préjudice au premier ministre ou de contribuer à la désinformation.

Le sénateur LeBreton: J'ai une question complémentaire. Le leader du gouvernement au Sénat a parlé des trois dernières entreprises invitées à soumissionner. Il y avait sept entreprises à l'origine. Pourquoi ces trois entreprises, toutes de la circonscription du premier ministre, ont-elles été les seules retenues? Selon les médias, une entreprise de Markham, en Ontario, qui s'était plainte de la situation, aurait écrit au gouvernement sans recevoir de réponse.

Quels étaient les critères qui ont fait que seules les trois entreprises de la région du premier ministre ont été invitées à soumissionner?

Le sénateur Graham: Je présume que le comité de sélection est parti d'une longue liste de sept entreprises pour arriver à une liste courte de trois entreprises, ce qui se pratique couramment. À partir de la liste courte, il a choisi l'entreprise qu'il a jugé être la meilleure pour faire le travail.

L'industrie

La construction navale-L'élaboration d'une politique nationale-La position du gouvernement

L'honorable Mabel M. DeWare: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat et porte sur la politique gouvernementale relative à la construction navale, ou sur l'absence d'une telle politique.

Le ministre de l'Industrie de l'autre endroit a dit à maintes reprises que le gouvernement avait une politique sur la construction navale. M. Thériault, premier ministre du Nouveau-Brunswick, a promis le 20 mai, dans sa plate-forme électorale, de promouvoir énergiquement l'établissement d'une politique sur la construction navale auprès du gouvernement du Canada.

Honorables sénateurs, s'il existait une politique canadienne sur la construction navale, le premier ministre du Nouveau- Brunswick ne ferait pas pression pour en établir une.

Le leader du gouvernement peut-il nous dire qui il faut croire, le ministre de l'Industrie, qui affirme que le gouvernement a une politique sur la construction navale, ou le premier ministre du Nouveau-Brunswick, qui dit que le gouvernement fédéral doit en établir une?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, en tant que ministre de la Nouvelle-Écosse, je m'intéresse à la construction navale, tout comme, j'en suis sûr, le sénateur DeWare, qui représente si efficacement le Nouveau-Brunswick.

Plusieurs ministères et organismes gouvernementaux défendent les intérêts des constructeurs de navires. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international travaille activement à accroître l'accès aux marchés étrangers. Il parraine des foires et des missions ainsi que le programme de développement du marché d'exportation.

La Société pour l'expansion des exportations finance des exportations de navires et examine actuellement des propositions de plus de 730 millions de dollars.

Des entreprises étrangères ont récemment indiqué à la Corporation commerciale canadienne la possibilité d'octroyer des marchés aux constructeurs de navires canadiens.

(1430)

Revenu Canada offre une déduction pour amortissement accéléré de 33 p. 100. Le ministère de la Défense nationale, Transports Canada, la Garde côtière et d'autres ministères et organismes continuent d'acheter, regréer et réparer leurs bâtiments dans les chantiers navals canadiens, sur une base concurrentielle.

Plusieurs projets d'acquisition doivent débuter au cours de l'exercice financier 1999-2000. Industrie Canada s'est doté du programme Partenariat technologique Canada dans le cadre duquel il collabore avec diverses provinces pour promouvoir la construction navale sur leur territoire. Le gouvernement est conscient de l'importance de l'industrie de la construction navale non seulement dans la province de l'honorable sénateur, mais aussi dans d'autres provinces.

Le sénateur DeWare: Le leader du gouvernement au Sénat peut toujours citer des statistiques, mais nos chantiers navals n'en demeurent pas moins vides et ont dû mettre à pied des milliers de travailleurs. Vous dites que le ministre a prévu tout cela dans son programme, mais le gouvernement persiste à refuser, en dépit des nombreuses questions posées durant la période des questions dans l'autre endroit, de prendre des mesures pour aider l'industrie canadienne de la construction navale.

Le leader parle de 1999-2000, mais rien n'a encore été fait. Faut-il en conclure que le volet du programme libéral du Nouveau-Brunswick portant sur cette question n'était qu'une coquille vide et que le premier ministre de la province ne peut espérer quelque mesure que ce soit de la part du gouvernement fédéral pour aider l'industrie de la construction navale dans sa province? Le leader dit qu'il peut compter sur de l'aide, mais en attendant, des chantiers navals sont vides depuis déjà plusieurs années. Nous risquons de perdre la main-d'oeuvre. Sa province n'est pas la seule en cause; il y a aussi ma propre province, la côte Ouest, l'Ontario et le Québec.

Le sénateur Graham: À ma connaissance, il n'y a pas de coquille vide dans le programme libéral du Nouveau-Brunswick. Des personnes qui sont allées dans la province m'ont dit qu'il s'agit d'un programme très progressiste et positif, qui produira les résultats souhaités. Je suis conscient des préoccupations de l'industrie de la construction navale et de ses travailleurs. Nous savons que les changements dans les marchés et sur la scène internationale, notamment l'utilisation fréquente de subventions et de pratiques protectionnistes, ont engendré une situation difficile pour l'industrie canadienne de la construction navale. Comme je le disais cependant, les entreprises ont accès à la déduction pour amortissement accéléré pour améliorer leur situation.

Je devrais aussi mentionner l'imposition d'un droit de 25 p. 100 sur la plupart des importations de navires provenant de pays qui ne sont pas membres de l'ALENA. La politique d'achats chez nous sur une base concurrentielle pour tous les besoins d'acquisition et de réparation de navires du gouvernement fédéral joue un rôle de tout premier plan.

En tout cas, je porterai à l'attention du ministre de l'Industrie, tout spécialement, et du ministre du Commerce les préoccupations légitimes exprimées par le sénateur DeWare.

La défense nationale

Le musée d'histoire militaire de Cornwallis-La restitution des vitraux enlevés de la chapelle-La position du gouvernement

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, ma question s'adresse également au leader du gouvernement au Sénat. Je vais parler des bénévoles du musée militaire de Cornwallis, ainsi que des membres de la collectivité locale, qui n'ont pas ménagé leurs efforts afin que les vitraux du mémorial naval soient rendus à Cornwallis. Je crois comprendre que l'aumônier général prendra bientôt sa retraite. Le ministre de la Nouvelle-Écosse accepterait-il de profiter de cette occasion pour communiquer avec l'aumônier général et lui demander de faire en sorte que, dans un geste de bonne volonté avant sa retraite, les vitraux soient rendus à Cornwallis, endroit où ils devraient à juste titre se trouver?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le sénateur Comeau a soulevé cette question à plusieurs occasions. J'ai mentionné que l'aumônier général avait pris une décision. À l'origine, il avait été dit que les vitraux devraient être dans un immeuble consacré. Le sénateur Comeau a indiqué par la suite, et peut-être pourrait-il le confirmer, que l'immeuble où il voudrait que se retrouvent les vitraux est consacré ou a été reconsacré.

L'aumônier général a rendu sa décision, mais il me ferait plaisir d'aborder de nouveau cette question avec le ministre de la Défense nationale.

Le sénateur Comeau: Honorables sénateurs, je vais confirmer par écrit au ministre de la Nouvelle-Écosse que la chapelle a été reconsacrée durant les cérémonies commémorant la bataille de l'Atlantique à l'occasion d'une messe oecuménique très émouvante à laquelle j'ai participé.

Je rappelle au ministre que le Canada atlantique a supporté la plus grande partie des nombreuses réductions et mesures douloureuses appliquées par le gouvernement actuel au cours des cinq ou six dernières années. Régler les frais de déménagement des vitraux contribuerait au moins à montrer que le gouvernement n'a pas complètement abandonné le Canada atlantique. Je souhaite que le ministre réfléchisse au moins à cet aspect de la question.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, la question de savoir si le gouvernement du Canada a ou non complètement abandonné le Canada atlantique pourrait faire l'objet d'un autre débat. Je pourrais fournir des statistiques et des renseignements qui prouvent que ce n'est pas le cas. Je suis content que l'honorable sénateur ait évoqué les cérémonies commémorant la bataille de l'Atlantique. Le sénateur Forrestall et moi avons eu le privilège de participer à ces cérémonies commémoratives, qui ont eu lieu au parc Point Pleasant, à Halifax. Elles étaient effectivement émouvantes.

Je serai très heureux de porter les préoccupations de l'honorable sénateur à l'attention du ministre.

L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord

Le conflit en Yougoslavie-Le déploiement de troupes terrestres-La séance d'information des ministres de la Défense-Le fait que les représentants du Canada n'aient pas été invités-La position du gouvernement

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, je voudrais revenir à la question en deux parties que j'ai posée hier au leader du gouvernement au Sénat. J'avais alors souligné que le professeur Lawrence Freedman avait laissé entendre que l'une des options envisagées pour une offensive terrestre au Kosovo incluait un mélange de troupes dirigées par les Britanniques, de troupes françaises, italiennes, allemandes et, quelque part en arrière-plan, mais pas trop loin, américaines.

Une réunion sur cette question a été tenue récemment, à laquelle le Canada n'a pas été invité. Je reviens à la charge aujourd'hui parce que j'ai été heureux d'entendre la réaction du ministre, qui a dit hier que le Canada et les Canadiens avaient été très troublés d'apprendre que nous n'avions pas été invités à la réunion générale sur cette option.

Comme vous le savez, l'escadron de reconnaissance qui sera la principale contribution du Canada aura un rôle qui le mettra devant l'armée, c'est-à-dire à l'avant-garde. Les Canadiens seront les premiers dans la bataille et les derniers à en sortir. Il est certainement important, comme le ministre l'a déclaré, que nous soyons invités à participer à toutes les discussions devant conduire à une telle situation, si on devait en venir là.

Le ministre a-t-il reçu des informations de ses collègues, le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de la Défense nationale, ou encore de leur personnel, quant aux mesures proposées par ceux qui ont exclu le Canada de la réunion? Des excuses ont-elles été présentées? Le gouvernement sait-il pourquoi le Canada a été exclu? S'agissait-il d'une exclusion justifiée par le secret? Pour quelle raison le Canada a-t-il été exclu?

Comme le ministre l'a déclaré dans sa réponse d'hier, la question est d'une importance cruciale pour le Canada et pour sa participation. Si le ministre à quelque chose à ajouter, je serai très heureux de l'entendre.

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ignore si des excuses ont été présentées, mais je sais que le fait que cette réunion ait été tenue sans représentants du Canada a été porté à l'attention des personnes concernées. Je l'ai à nouveau mentionné au premier ministre, au ministre des Affaires étrangères et au ministre de la Défense nationale ce matin.

Je répète ce que j'ai dit hier: il était tout à fait inacceptable que cette réunion ait eu lieu sans que le Canada y ait été invité.

(1440)

Pendant ce temps, d'autres mesures sont prises sur le plan diplomatique. Si je ne m'abuse, il y aura une réunion des ministres des Affaires étrangères du G-8 mercredi prochain, ainsi qu'un sommet des pays du G-8, les 18 et 19 juin. D'ici là, nous allons suivre une voie diplomatique très critique.

Il y a déjà 280 membres des forces armées qui sont affectés à la maintenance et au vol des CF-18, en Italie. Quelque 200 membres se trouvent à bord du navire Athabaskan, sur l'Adriatique. Le déploiement des 800 troupes engagées aux fins du maintien de la paix a déjà commencé. Comme l'honorable sénateur le sait, l'équipement de servitude au sol est en route, puisqu'il a été expédié en passant par le port de Montréal il y a quelques semaines. S'il n'est pas arrivé à destination, il devrait l'être sous peu.

Le sénateur Forrestall: Le ministre n'a donc aucune raison de dire que nous participerons aux futures réunions. Je lui serais obligé de dire au premier ministre et à ses autres collègues qu'il est urgent d'établir sur une base quotidienne les communications de commandement et de contrôle entre le Canada et ses alliés à cet égard. Si des opérations terrestres devaient avoir lieu d'ici 30 à 60 jours, la planification doit littéralement se faire de jour en jour et d'heure en heure. C'est à cet égard qu'il est si important de connaître la position du Canada.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je suis d'accord avec le sénateur Forrestall. J'ai reçu l'assurance des ministres de la Défense nationale et des Affaires étrangères qu'ils sont régulièrement, sinon quotidiennement en communication avec leurs homologues en ce qui concerne la suite des événements dans les Balkans. Nous n'avons pas été invités à une réunion ni informés de sa tenue. J'espère que cela ne se produira plus.

Le conflit en Yougoslavie-Le soutien à l'Armée de libération du Kosovo-La position du gouvernement

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, je voudrais revenir sur la question de l'UCK, l'Armée de libération du Kosovo. Est-ce toujours la position du Canada que ni l'OTAN ni le Canada ne coopéreront de quelque façon que ce soit sur le terrain avec les troupes de l'UCK qui semblent être actives au Kosovo en ce moment?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, la réponse est un oui catégorique. Nous refuserions de coopérer.

Le sénateur Andreychuk: Selon certaines informations, il y aurait une certaine coopération de la part des Américains ou d'autres membres de l'OTAN. Si ces informations se vérifiaient, quelle serait la position du Canada au sujet de sa participation à une présence de l'OTAN au Kosovo?

Le sénateur Graham: Le Canada n'a pas l'intention de collaborer avec l'UCK.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, faut-il déduire de cette réponse que nous réévaluerions notre position sur les activités de l'OTAN au Kosovo s'il était établi qu'il y a coordination et coopération entre certains de nos alliés de l'OTAN et l'UCK?

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, nous espérons pouvoir atteindre nos objectifs au moyen des mesures militaires en cours et par les efforts diplomatiques qui se poursuivent quotidiennement. Les objectifs ont été définis. Ce sont les conditions fixées par l'OTAN, le secrétaire général, les pays du G-8 et la Communauté européenne. Je comprends que les autorités de Belgrade sont en train d'examiner toutes ces conditions plus sérieusement que jamais auparavant. L'objectif du Canada est de participer uniquement à une force de maintien de la paix, ce qui ne nécessite pas la participation de l'UCK ni la coopération avec lui.

Le conflit en Yougoslavie-la possibilitÉ de la cessation des frappes aériennes-La position du gouvernement

L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Il semble évident que le régime Milosevic s'approche de la déconfiture. L'homme lui-même a été inculpé. Hier soir, d'autres civils ont été tués lors des bombardements. Pourquoi les bombardements doivent-ils se poursuivre à cette étape et tuer ainsi des innocents?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, cette décision a été prise par tous les alliés de l'OTAN. Les experts au sol, qui sont les plus au fait de la situation, ont déterminé que les bombardements doivent se poursuivre et que les autorités de Belgrade doivent finir par accepter les principes énoncés par les alliés de l'OTAN, le secrétaire général des Nations Unies, ainsi que toutes les autorités mentionnées plus tôt. On a déterminé que, malheureusement, il fallait poursuivre les bombardements.

Le sénateur Roche: Le gouvernement du Canada a-t-il pris connaissance de la déclaration faite la semaine dernière par l'ancien président Jimmy Carter, selon laquelle il est maintenant insensé et excessivement brutal de poursuivre les bombardements?

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, le gouvernement du Canada est au courant de toutes les déclarations faites à ce sujet, surtout celles d'éminents personnages ayant la réputation et les compétences de l'ancien président Carter.

Les efforts se poursuivent sur le front diplomatique. Comme je l'ai indiqué, les ministres des Affaires étrangères du G-8 se rencontreront mercredi prochain. L'envoyé spécial russe, M. Tchernomyrdine, prévoit se rendre à Belgrade demain. Il sera accompagné par le président finlandais, Martti Ahtisaari, qui fait partie d'une troïka avec le représentant des États-Unis, le sous-secrétaire d'État adjoint, Strobe Talbott.

Je crois comprendre, selon ce que la presse yougoslave a dit lors de la dernière visite de M. Tchernomyrdine, que M. Milosevic serait prêt à accepter les principes du G-8. Cependant, il semble qu'il aurait seulement accepté, comme il l'a déjà fait, de négocier une entente en fonction des principes du G-8 et non de procéder à la mise en oeuvre de ces principes. Peut-être que la visite d'Ahtisaari et de Tchernomyrdine jettera un peu de lumière sur toute la situation demain.

L'honorable Gerry St. Germain: Honorables sénateurs, j'ai une brève question complémentaire à poser au leader du gouvernement au Sénat.

Comme je l'ai signalé dès le début, dans des conversations avec le sénateur Lawson, et comme je l'ai affirmé officiellement ici, nous sommes en train de créer un autre Viêtnam en allant au Kosovo pour des missions de bombardement.

J'entends parler de délégations qui se rendent au Texas pour sauver Stanley Faulder. Nous n'étions pas disposés à traiter Clifford Robert Olson comme il le mérite après qu'il eut déclaré la guerre aux enfants de ma circonscription, à la fin des années 70 et au début des années 80. Paul Bernardo est encore en vie. On s'entend en général pour dire que des innocents ne devraient pas être les victimes de ce que nous sommes nombreux à considérer comme l'exercice de la justice.

Comment concilions-nous la poursuite des bombardements avec le fait que des innocents meurent à cause de l'entêtement du dirigeant serbe?

(1450)

Je pose la question parce que je crois que le président des États-Unis et peut-être même le premier ministre britannique prennent les décisions dans cette affaire et que nous semblons leur emboîter le pas. Pourquoi ne pas prendre une position plus ferme? Comment pouvons-nous avoir deux poids, deux mesures et être prêts à ruiner la vie d'innocents Serbes, mais pas à prendre les mesures qui s'imposent contre les personnes qui s'en prennent à des Canadiens au Canada?

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, cela pourrait faire l'objet d'un autre débat. Je ne dis pas que les deux questions soient distinctes, mais elles le sont aux fins du présent débat.

J'ignore si l'honorable sénateur était ici présent hier soir lorsque j'ai fait savoir que l'OTAN avait pris des mesures extraordinaires au cours de cette période très difficile pour éviter que des civils ne soient touchés et s'était empressée de regretter toute perte de vie dans les rangs des civils. Si je ne m'abuse, l'Alliance a effectué plus de 31 500 missions aériennes, dont plus de 9 000 frappes, et a largué plus de 12 000 bombes. Les cas où des civils ont été touchés accidentellement sont très rares.

Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, je comprends ce que le leader du gouvernement au Sénat dit et j'ai lu ce qu'il a déclaré hier pendant la période des questions. Toutefois, il ne nous indique pas comment nous pouvons concilier ces diverses considérations.

Nous avons des problèmes avec la jeunesse au Canada et aux États-Unis. Lorsque les jeunes voient que nous appliquons deux poids, deux mesures, comment peuvent-ils comprendre ce qui se passe?

Je ne cherche pas la confrontation, honorables sénateurs. Je répète aujourd'hui ce que je dis depuis les tout débuts, c'est-à-dire qu'il faut faire quelque chose. Ma position n'a jamais changé, ni même chancelé, mais je remets en question la stratégie militaire tactique qui a été appliquée.

Je crois sincèrement que le président des États-Unis est incapable de prendre la décision qui s'impose. La campagne qui se voulait au début une mission de sauvetage s'est transformée en guerre. Chaque fois que nous partons en guerre, nous voulons à tout prix éviter que des militaires se fassent tuer. Si nous partons de ce principe, comment pouvons-nous concilier la situation actuelle et la mission que nous avions formulée à l'origine et mettre un terme au conflit avec honneur et intégrité?

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, la situation est très difficile.

Je voudrais rappeler les conditions imposées par l'OTAN, le secrétaire général de l'ONU et la Communauté européenne. Je pourrais peut-être citer la déclaration faite par le président à l'issue de la rencontre des ministres des Affaires étrangères des pays du G-8. Il s'agit des conditions qu'ils ont imposées et qui obtiennent de plus en plus, si je comprends bien, la faveur des autorités de Belgrade. Il s'agit des principes et conditions énoncés par l'OTAN, auxquels s'ajoutent d'autres conditions.

Les ministres des Affaires étrangères des pays du G-8 ont adopté, dans la recherche d'une solution politique à la crise qui sévit au Kosovo, les principes généraux suivants. Ces principes supposent la fin immédiate et vérifiable de la violence et de la répression au Kosovo; le retrait du Kosovo de la police militaire et des forces paramilitaires; le déploiement au Kosovo d'une présence civile internationale qui soit efficace, qui assure la sécurité, qui ait reçu l'aval des Nations Unies et qui puisse garantir l'atteinte d'objectifs communs; l'établissement pour le Kosovo d'une administration provisoire qui serait déterminée par le Conseil de sécurité des Nations Unies et qui veillerait à ce que des conditions de vie normales et pacifiques soient en place pour tous les habitants du Kosovo; le retour, en toute sécurité et en toute liberté, de tous les réfugiés et personnes déplacées, ainsi qu'un libre accès au Kosovo pour les organismes d'aide humanitaire; un processus politique visant l'établissement, sur le plan politique, d'un accord-cadre provisoire qui ferait une large place à une autonomie gouvernementale pour le Kosovo, qui tiendrait pleinement compte de l'accord de Rambouillet ainsi que des principes de souveraineté et d'intégrité territoriale de la République fédérale de la Yougoslavie et des autres pays de la région; et enfin, la démilitarisation de l'UCK.

Honorables sénateurs, voilà qui répond en partie à la question du sénateur Andreychuk au sujet de l'UCK, l'Armée de libération du Kosovo.

Enfin, les ministres des Affaires étrangères ont adopté une politique générale qui privilégie une approche exhaustive par rapport au développement économique et à la stabilisation de la région en crise.

Afin de mettre en oeuvre ces principes, les ministres des Affaires étrangères des pays du G-8 ont demandé à leurs collaborateurs politiques de préparer les éléments d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ceux-ci établiront un plan des autres mesures concrètes à prendre pour arriver à une solution politique de la crise qui sévit au Kosovo. La présidence du G-8 informera le gouvernement chinois des résultats de la rencontre, et les ministres des Affaires étrangères se réuniront de nouveau au moment opportun - c'est-à-dire la semaine prochaine - afin d'étudier les progrès qui ont été accomplis jusqu'alors.

Je regrette que mes explications aient pris autant de temps, mais je pense qu'il est important que tous les honorables sénateurs soient bien au courant de la situation.

[Français]

Les relations Canada-États-Unis

La perte de l'exemption spéciale prévue dans le Règlement sur le commerce international des armes-Demande de mise à jour

L'honorable Roch Bolduc: Honorables sénateurs, il y a un mois, le sénateur Nolin et moi-même avions posé des questions sur la perte de l'exemption spéciale prévue dans le Règlement sur le commerce international des armes. Il y avait une possibilité d'une dispute commerciale avec les Américains.

M. Axworthy avait affirmé que des progrès avaient été faits. Un délai a été obtenu pour réviser ces questions. Depuis deux semaines, au moins une vingtaine de compagnies ont été forcées d'obtenir des permis additionnels d'exportation. Au Canada, 200 compagnies sont dans cette situation et risquent de perdre des contrats d'une valeur supérieure à un milliard de dollars.

Il y a donc un grave litige et il y a même des cas quelque peu aberrants. Une information de Allied Signal Canada Inc. donne cet exemple:

[Traduction]

Prenons un exemple ridicule... celui où nous concevons une pièce d'équipement que nous envoyons aux États-Unis pour qu'on en fasse l'essai et qui ne peut ensuite être renvoyée pour être modifiée à moins de faire l'objet d'un permis d'exportation.

[Français]

Ce sont des problèmes que l'on peut régler. Des rencontres sont prévues avec les autorités américaines et canadiennes ainsi qu'avec les compagnies de la défense. Le ministre aurait-il des progrès ou des développements intéressants à nous signaler?

[Traduction]

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le ministre Axworthy a posé cette question à quelques reprises à Mme Albright. À ma connaissance, au cours de mon dernier échange sur ce point avec le sénateur Nolin, il a été question du fait que le ministre Axworthy a rencontré Mme Albright le 22 avril et qu'à cette occasion, il a souligné l'importance du maintien de notre étroite collaboration en matière de défense et soulevé les préoccupations du Canada au sujet des conséquences possibles de tout changement dans les arrangements relatifs à l'industrie des satellites, au secteur de l'aérospatiale et à la défense.

Le ministre des Affaires étrangères a discuté avec Mme Albright d'un large éventail de sujets vendredi dernier. Il a de nouveau soulevé ce point en particulier, et je tiens à donner l'assurance au sénateur Bolduc que les fonctionnaires se sont réunis régulièrement eux aussi pour trouver des moyens d'atténuer les effets des changements apportés à la réglementation. Les fonctionnaires canadiens sont en train d'examiner la réglementation canadienne en matière de contrôle des exportations pour déterminer quelles mesures pourraient être prises pour donner suite aux préoccupations des États-Unis au sujet du transfert non autorisé de technologies secrètes à des pays tiers. Les fonctionnaires canadiens feront un suivi de la mise en oeuvre des changements à la réglementation pour veiller à ce que l'on tienne effectivement compte des préoccupations des entreprises canadiennes. Je donne l'assurance aux sénateurs que tous les efforts seront faits pour veiller à ce que les industries canadiennes de la défense et de haute technologie continuent de jouir de l'accès aux contrats transfrontaliers qui ont été très profitables au gouvernement et aux industries des deux pays.


Projet de loi d'intérêt privé

L'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada-Message des Communes

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes le projet de loi S-18, Loi concernant l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada, accompagné d'un message où elles disent avoir adopté le projet de loi sans amendements.

Le programme d'échange de pages avec la Chambre des communes

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je voudrais vous présenter les pages qui sont ici cette semaine dans le cadre du programme d'échange de pages avec la Chambre des communes.

[Français]

Caroline Podsiadlo est inscrite à la faculté des arts de l'Université d'Ottawa au programme d'histoire. Elle est originaire de Dorval, au Québec.

[Traduction]

Andrienne Jarabek étudie à la faculté d'administration de l'Université d'Ottawa. Elle est inscrite au Programme coopératif de politiques publiques et de gestion. Adrienne est originaire de London, en Ontario.

Des voix: Bravo!

Son Honneur le Président: Caroline et Adrienne, au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat. J'espère que votre séjour parmi nous sera à la fois agréable et instructif.


ORDRE DU JOUR

La Loi de 1998 modifiant l'impôt sur le revenu

Troisième lecture-ajournement du débat

L'honorable Catherine S. Callbeck propose: Que le projet de loi C-72, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, mettant en oeuvre des mesures découlant de changements apportés à la Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les États-Unis et modifiant la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu, la Loi sur la sécurité de la vieillesse, la Loi sur les allocations aux anciens combattants et certaines lois liées à la Loi de l'impôt sur le revenu, soit lu une troisième fois.

Son Honneur le Président: Y a-t-il quelque autre sénateur qui souhaite intervenir sur ce sujet?

L'honorable David Tkachuk: Honorables sénateurs, je voudrais intervenir sur ce sujet demain.

(Sur la motion du sénateur Tkachuk, le débat est ajourné.)

Les propositions présentées en vue d'une loi corrective

L'étude du document déposé-Adoption du rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'étude du vingt-quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (Propositions présentées en vue de la loi corrective de 1998), présenté au Sénat le 13 mai 1999.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, lorsque cette affaire a été soumise au Sénat pour la première fois, elle a été simplement inscrite au Feuilleton pour fins d'étude. Cependant, la coutume veut que le rapport soit adopté par le Sénat.

L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je propose l'adoption du rapport.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Projet de loi concernant les services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de périodiques

Étude du rapport du comité-Recours au Règlement-Report de la décision du Président

L'ordre du jour appelle:

Étude du douzième rapport du Comité sénatorial permanent des transports et des communications (projet de loi C-55, Loi concernant les services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de périodiques, avec des amendements), présenté au Sénat le 31 mai 1999.

Recours au règlement

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, j'invoque le Règlement en ce qui a trait à l'admissibilité des amendements au projet de loi C-55 contenus dans le douzième rapport du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

À mon avis, les amendements proposés à l'article 2 en vue de la création des nouveaux alinéas 20.1, 21.1 et 21.2 ne sont pas acceptables parce qu'ils sont en contradiction directe avec le principe même du projet de loi. Je vous renvoie tout d'abord au commentaire 698(5) de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, à la page 215, qui dit que:

Un amendement n'est pas admissible s'il équivaut à un rejet du projet de loi ou contredit son principe consacré en deuxième lecture.

Je vous renvoie ensuite à la 32e édition du Parliamentary Practice de Erskine May, qui prévoit au paragraphe 5 de la page 526 de la version anglaise que:

Un amendement qui équivaut à un rejet du projet de loi, ou qui contredit son principe consacré en deuxième lecture n'est pas admissible. Si la portée du projet de loi est très restreinte, les amendements qui pourraient y être apportés pourraient en être grandement limités.

Il convient donc de se demander quel est le principe du projet de loi C-55. On le retrouve dans deux parties différentes du projet de loi. Tout d'abord, dans le sommaire, qui se trouve à l'intérieur de la couverture du projet de loi, on peut lire que:

Il crée une infraction pour l'éditeur étranger de périodiques qui fournit à un annonceur canadien de tels services lorsque ceux-ci sont destinés au marché canadien.

Puis, l'article 3 (1) renferme un énoncé assez explicite quand au principe du projet de loi. Je cite:

Il est interdit à tout éditeur étranger de fournir des services publicitaires destinés au marché canadien, à un annonceur canadien ou à une personne agissant pour son compte.

L'interdiction est claire et absolue. Le projet de loi contient un principe d'interdiction absolue et toute violation de ce principe constitue une infraction.

Peut-on trouver ailleurs confirmation du principe du projet de loi agréé à l'étape de la deuxième lecture? Il existe plusieurs sources. Je me bornerai à citer l'une des plus éloquentes, le discours d'envoi du débat que prononçait au Sénat, le 18 mars dernier, le leader du gouvernement au Sénat.

Il déclarait:

Le projet de loi C-55 interdirait aux éditeurs étrangers de fournir des services de publicité visant le marché canadien à des annonceurs canadiens. Il n'interdirait pas la vente de services de publicité visant d'autres marchés.

Plus loin, il ajoutait:

Il garantira que seuls les éditeurs canadiens pourront vendre des services publicitaires destinés au marché canadien, sauf dans le cas des publications protégées par la clause des droits acquis. Elle prévoit des peines sévères contre les éditeurs étrangers qui enfreindront la loi.

Ces propos vont tout à fait dans le même sens que ceux que la ministre du Patrimoine canadien tenait dans l'autre endroit à l'étape de la deuxième lecture, le 22 octobre 1998.

Le projet de loi C-55 visait donc très clairement à interdire complètement la publicité canadienne dans des périodiques américains à tirage dédoublé.

Je voudrais maintenant parler de l'amendement qui va clairement à l'encontre de l'article 3 du projet de loi et, de ce fait, à l'encontre du principe du projet de loi, que le Sénat a appuyé à l'étape de la deuxième lecture.

Aux termes du nouvel article 21.1, le projet de loi C-55 ne s'appliquerait pas à un éditeur étranger qui fournit dans un périodique des services publicitaires destinés au marché canadien, sous réserve du pourcentage que les recettes publicitaires provenant du marché canadien représentent par rapport aux recettes publicitaires totales. Autrement dit, cette modification permet ce que le projet de loi C-55 vise à interdire, et cela va tout à fait à l'encontre du principe approuvé par le Sénat.

Certains feront valoir qu'il s'agit uniquement d'une dérogation au principe puisque l'interdiction absolue est limitée à 12 p. 100 la première année, à 15 p. 100 la deuxième année et à 18 p. 100 la troisième année. À la fin de ces trois ans, le marché sera théoriquement inaccessible à 82 p. 100. Que cette proportion soit de 1 p. 100 ou de 99 p. 100, le principe s'en trouve quand même violé. Ce fait est confirmé indirectement dans une lettre qui a été publiée dans le Hill Times du 17 mai et signée par la ministre fédérale du Patrimoine canadien. Voici ce qu'elle disait à propos du projet de loi C-55:

Le projet de loi interdit aux éditeurs étrangers de vendre dans les éditions étrangères de périodiques de la publicité qui s'adresse surtout au marché canadien. Sans le projet de loi, les éditeurs étrangers pourraient le faire de façon rentable à une fraction du coût nécessaire pour faire vivre des périodiques à contenu canadien.

Il est très clair que l'objet et le principe du projet de loi C-55, si bien énoncés par la ministre dans sa lettre, se trouvent violés du fait que les gens qui devaient être frappés par une interdiction totale seront maintenant autorisés à entrer dans le marché selon de nouvelles conditions.

(1510)

Pour vous aider à examiner ce rappel au Règlement, je voudrais également vous signaler une décision du Président Lamoureux qui a été publiée dans les Journaux de la Chambre des communes du 27 janvier 1967. Le Président, qui avait en l'occurrence à se prononcer sur un amendement proposé à l'étape de la troisième lecture d'un projet de loi visant à définir une politique nationale des transports au Canada, a énoncé le principe auquel je m'en remets aujourd'hui. Il a déclaré:

De toute évidence, des limites s'imposent quant au genre d'amendements que les députés peuvent présenter à l'étape de la troisième lecture. Entre autres restrictions, de tels amendements doivent être pertinents au projet de loi qu'ils tendent à modifier, ils ne sauraient donner des instructions formelles au comité, ni contredire le principe du projet de loi adopté en deuxième lecture. Je signale ces deux dernières restrictions à titre d'exemples de ce qu'un amendement ne peut avoir comme objet.

Il est donc clair qu'une proposition d'amendement qui contredit le principe du projet de loi adopté en deuxième lecture est irrecevable.

J'attire aussi votre attention sur la page 509 de la 18e édition de l'ouvrage d'Erskine May, où l'on peut lire:

Un amendement qui équivaut à la négation du bill ou qui prend le contre-pied du principe du bill adopté en deuxième lecture est irrecevable...

La portée du Parliamentary Elections Bill de 1880, se bornant à l'abrogation d'un article d'une loi, un amendement qui proposait le maintien ou l'extension de cet article, fut déclaré irrecevable. Le Président a déclaré que le comité avait plein pouvoir de modifier, même d'annuler, les dispositions d'un bill, mais qu'il ne pouvait y insérer un article qui prenait le contre-pied des principes que le bill, dans son libellé à l'étape de la deuxième lecture, cherchait à affirmer.

Honorables sénateurs, c'est très clair que l'amendement qui ajoute le paragraphe 21.1 au projet de loi C-55 viole le principe du projet de loi et qu'il est clairement irrecevable. C'est le principal amendement visant à mettre en oeuvre de nouvelles dispositions conclues entre le Canada et les États-Unis relativement à la publicité dans les revues. Je suis convaincu que la seule solution possible pour le gouvernement, dans ce cas, est de présenter à la Chambre des communes un nouveau projet de loi qui comprendrait tous les éléments de cette entente, y compris les subventions ou l'aide financière convenues selon les termes de l'entente pour financer l'industrie canadienne du périodique.

Outre les sources qui ont été citées pour étayer mon argument, je voudrais citer les deux parties les plus intéressées dans le projet de loi C-55, la ministre du Patrimoine canadien et la Canadian Magazine Publishers' Association.

Lorsqu'on a demandé à la ministre, hier, si l'amendement apporté à l'article 2 constituait un changement important - ce sont les termes qui ont été employés - par rapport à la proposition initiale, elle a répondu oui. Lorsqu'on lui a posé la même question au sujet de l'amendement créant l'article 20.1, elle a donné la même réponse. Même la ministre convient que ces amendements changent profondément et considérablement le projet de loi initial, un changement qui, selon un grand nombre d'entre nous, viole le principe énoncé dans le projet de loi C-55, mais que le gouvernement souhaite éliminer.

Dans le mémoire daté du 6 mai qu'elle a présenté au comité des transports et des communications, l'association des éditeurs a appuyé le projet de loi C-55 sans réserve et, en commentant l'issue des discussions, inconnue à ce moment-là, entre les représentants du commerce américains et canadiens, elle a dit:

[...] si les éditeurs américains ont un accès à notre marché de services publicitaires, ils devront intégrer majoritairement un contenu canadien dans les éditions canadiennes à publicité partagée de leurs magazines.

Dans une lettre ouverte adressée au premier ministre et datée du 21 mai, lorsque des rapports sur les conditions d'une entente étaient largement diffusés, les éditeurs canadiens ont écrit ceci:

[...] accéder à la demande américaine d'un seuil d'environ 20 p. 100 reviendrait à vider le projet de loi C-55 de sa substance. Ce serait renoncer carrément à une part très importante du marché canadien des services publicitaires, sans exiger que les éditeurs américains impriment un seul mot au sujet du Canada.

Cette analyse, effectuée par une partie dont le projet de loi C-55 visait à protéger les intérêts, confirme l'argument selon lequel les amendements vident le projet de loi C-55 de sa substance, pour reprendre les termes employés par l'association des éditeurs et, par conséquent, violent ses principes et sont irrecevables.

En terminant, je souligne également, honorables sénateurs, que les amendements proposés découlent d'une entente entre les États-Unis et le Canada, entente qui, selon la ministre du Patrimoine canadien, revêtirait la forme d'un traité. Si je comprends bien, le texte définitif de l'entente n'a pas encore été signé. Demander à une Chambre du Parlement de voter sur un projet de loi qui repose en grande partie sur un document non signé, dont le texte n'a pas encore été rendu public, est certes une mesure sans précédent, voire irrecevable.

De plus, la ministre a également déclaré hier que, par suite de l'accord, un fonds serait créé pour aider l'industrie canadienne des périodiques, mais elle n'a fourni aucun détail, ni même une estimation du montant que les contribuables devraient y consacrer.

Ces amendements supposent donc une dépense fiscale inconnue. Il est tout simplement inacceptable que le Sénat du Canada présente, dans les faits sinon en loi, un projet de loi de finances. Une telle mesure revient sans contredit à la Chambre des communes; c'est une responsabilité que ce rapport demande au Sénat de s'arroger, contrairement à une convention fondamentale que nous connaissons tous et que nous devrions être les premiers à observer.

Je soulève ces questions, honorables sénateurs, pour aider Son Honneur à trancher sur le rappel au Règlement, parce qu'il est essentiel qu'en rendant sa décision, Son Honneur tienne compte non seulement de la nature des amendements, mais de leur origine et de leurs répercussions financières. Je le répète, il est clair que les articles 21.1 et 21.2 proposés vont à l'encontre du principe qui sous-tend le projet de loi, tel que le Sénat en a convenu à l'étape de la deuxième lecture. Ils devraient donc être jugés irrecevables et le gouvernement devrait être tenu de présenter un nouveau projet de loi à la Chambre des communes, qui porterait sur toutes les facettes du traité avec les Américains, y compris toute exemption financière accordée aux éditeurs canadiens, ainsi que les amendements dont, je le maintiens, nous ne devrions pas être saisis.

Son Honneur le Président: Un autre sénateur voudrait-il intervenir sur le rappel au Règlement?

L'honorable Marie-P. Poulin: Honorables sénateurs, pour traiter de la difficulté que soulèvent les amendements proposés, il faut commencer par préciser le rôle du comité ou, quant à cela, de tout comité qui se penche sur un projet de loi. À la page 212 du Beauchesne, on définit très clairement le rôle d'un comité dans de telles circonstances. Le commentaire 688 prévoit ce qui suit:

Le comité a pour rôle d'examiner le projet de loi article par article, voire mot par mot, afin d'y apporter les amendements dont on peut croire qu'ils le rendraient plus acceptable en général.

En se fondant sur les témoignages qu'il a entendus, le comité croit que ces amendements rendraient le projet de loi plus acceptable en général. Nous sommes d'avis qu'il établirait un meilleur équilibre entre les divers intéressés.

Bien sûr, il y a des limites aux amendements qu'un comité peut proposer à un projet de loi. La règle fondamentale à observer est prévue au commentaire 689(1) du Beauchesne, qui dit ceci:

Le vote de la Chambre en faveur du principe du projet de loi, lors de son adoption en deuxième lecture, lie le comité. Il ne doit pas, par conséquent, proposer des amendements qui portent atteinte à ce principe.

Une question s'impose donc d'emblée: qu'est-ce que le principe d'un projet de loi? Heureusement, Beauchesne donne la réponse au commentaire 689(3):

L'objet (on parle aussi de principe ou de portée) du projet de loi est indiqué dans son titre intégral, lequel doit exposer succinctement toute la matière du projet de loi présenté à l'origine.

Ainsi, pour savoir si un amendement est contraire au principe du projet du loi, nous devons d'abord nous reporter au titre intégral pour connaître le principe à défendre à cette étape. Voici le titre intégral du projet de loi C-55:

Loi concernant les services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de périodiques.

(1520)

Y a-t-il quelque chose dans les amendements proposés qui ne porte pas sur les services de publicité fournis par les éditeurs de revues étrangères? Non. Le projet de loi C-55 interdit la vente de publicité par les éditeurs étrangers à des publicitaires canadiens. Les nouvelles dispositions exposées aux articles 21.1 et 21.2 prévoient des exceptions limitées et conditionnelles à cette interdiction.

L'article 21.1 prévoit une exception de minimis. Il donne aussi aux publications étrangères un accès limité aux revenus publicitaires au Canada. L'article 21.2 prévoit une exception pour les éditeurs étrangers qui veulent investir au Canada pour créer du contenu canadien et employer des Canadiens et ainsi, avoir accès au marché canadien de la publicité.

Deux autres modifications sont corollaires et accessoires; l'une porte sur l'article 2 et améliore pour les éditeurs canadiens l'accès aux investissements étrangers, et l'autre, qui est également un nouvel article, prévoit le nouveau pouvoir de réglementation. Il permet au gouvernement de définir les recettes publicitaires au sens de la loi.

Comment peut-on dire que cela va à l'encontre du principe du projet de loi tel qu'énoncé dans le titre intégral? Celui-ci parle des services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de périodiques, et cet amendement établit certaines règles pour les éditeurs étrangers de périodiques qui désirent fournir des services publicitaires.

Le même raisonnement s'applique à la seconde partie de l'amendement qui crée une exemption pour les éditeurs étrangers qui investissent dans l'édition de périodiques approuvés en vertu de la Loi sur Investissement Canada. Encore une fois, nous parlons de certains ajustements aux règles pour les éditeurs étrangers de périodiques qui désirent offrir des services publicitaires; or, c'est exactement le principe de cette mesure législative selon le titre intégral du projet de loi C-55.

Que quelqu'un ne soit pas d'accord avec les règles du plan proposé aux éditeurs étrangers de périodiques qui désirent fournir des services publicitaires ne signifie pas que soudainement, on s'écarte du principe du projet de loi. Malgré les amendements, le projet de loi C-55 n'en demeure pas moins un projet de loi qui traite de services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de périodiques.

Le commentaire 689(2) de Beauchesne stipule que:

Il est loisible au comité de modifier les dispositions du projet de loi à tel point que, lorsqu'il en sera fait rapport à la Chambre, il se trouve être tout autre qu'il était avant son renvoi en comité. Le comité peut rejeter tous les articles et les remplacer par d'autres, sous réserve de ne pas s'écarter du principe entériné lors de l'adoption du projet de loi en deuxième lecture.

Les amendements proposés ne s'approchent même pas de la limite fixée par Beauchesne.

Le commentaire 689(2) de Beauchesne dit qu'on peut préserver le principe du projet de loi en rejetant tous les articles pour les remplacer par d'autres. Il dit comment on peut modifier les dispositions d'un projet de loi à tel point qu'il est tout autre qu'il était avant.

Le comité propose bien moins en présentant ces amendements. Pas un seul article n'est supprimé. En fait, pas un seul mot n'est rayé. Les amendements proposés visent à accorder certaines exceptions bien restreintes aux éditeurs étrangers de périodiques. Ces exceptions s'ajoutent immédiatement après l'exception au régime de base déjà prévue à l'article 21 du projet de loi. Les amendements proposés peaufinent le projet de loi. Ils ne s'approchent même pas d'un désaveu du principe ou d'une attaque contre le principe du projet de loi.

Cela demeure sans équivoque un projet de loi concernant les services fournis par des éditeurs étrangers de périodiques. Que l'opposition n'aime pas ce qui est proposé dans le cas de ces éditeurs ne modifie en rien cette constatation simple et indéniable. On peut soutenir que les amendements proposés n'enfreignent pas techniquement le principe du projet de loi qui est défini dans le titre intégral de ce dernier. Toutefois, ils vont à l'encontre de la politique et de l'intention de la loi et sont donc contraires au principe du projet de loi. Il convient d'abord de souligner que la notion de manquement au principe du projet de loi n'est de nouveau pas étayée par Beauchesne ou Erskine May. Dans la mesure où les amendements sont pertinents, ne se situent pas hors de la portée du projet de loi ou ne vont pas à l'encontre de ses principes, ils sont acceptables.

Aux fins de la discussion, quel est le principe général que cherche à mettre de l'avant cette mesure législative? Lorsque le sénateur Graham est intervenu au sujet du projet de loi au nom du gouvernement, il a évoqué bon nombre de principes généraux. Le 18 mars dernier, il a dit:

Les principes énoncés dans ce projet de loi sont de protéger la culture canadienne et de donner aux auteurs et aux rédacteurs en chef des périodiques canadiens une chance de faire leur travail et de nous dire encore ce qu'être Canadien veut dire. Tels sont les principes derrière le projet de loi.

Pour le sénateur Graham, ces divers éléments constituent le principe général qui sous-tend le projet de loi.

L'honorable Sheila Copps n'a pas utilisé l'expression «principe du projet de loi» dans le discours qu'elle a prononcé à l'étape de la deuxième lecture, mais elle a néanmoins donné un aperçu de la politique qui sous-tend la loi. Le 22 octobre 1998, elle a déclaré ce qui suit:

Ce projet de loi maintient les objectifs culturels canadiens de longue date et il appuie le droit du Canada et des Canadiens de promouvoir la culture canadienne et, par le fait même, de promouvoir notre identité.

Les amendements ne vont pas à l'encontre des objectifs énoncés par la ministre Copps simplement parce que la manière ou le mécanisme qui permettra de les atteindre sera légèrement modifié. Les principes généraux demeurent la préservation et la défense de notre culture grâce à l'amélioration de la capacité des revues canadiennes de connaître du succès au sein du marché. L'opposition n'est peut-être pas d'accord avec les exceptions limitées qui sont proposées dans les amendements que l'on veut apporter au régime prévu dans le projet de loi. Toutefois, le désaccord porte sur l'application de la politique et non sur la politique proprement dite.

Lorsque la Chambre des communes a adopté un amendement à ce projet de loi afin de renforcer les dispositions sur les droits acquis pour les éditeurs étrangers déjà présents sur le marché canadien, personne n'a affirmé que le principe du projet de loi était violé. La raison est qu'il y a une différence fondamentale entre changer une orientation de politique du projet de loi et modifier les mesures selon lesquelles la politique énoncée sera menée.

Ces amendements proposés ne changent pas la politique ou le principe sous-jacent au projet de loi. Ce qu'ils font, c'est apporter des changements aux mécanismes qui ont été conçus pour appliquer cette politique. De tels amendements ne sont pas contraires au principe du projet de loi, qui reste le même. Ce qui change, ce sont les détails précis sur la façon dont il sera abordé. Il est irrecevable d'effectuer des changements sur ces détails. S'il en est ainsi, presque aucun amendement aux projets de loi ne pourrait être recevable.

Par le passé, des amendements substantiels ont été proposés sans que quiconque ne déclare que le principe du projet de loi avait été violé. Récemment, nous avons eu les amendements proposés au projet de loi sur l'extradition. Les amendements auraient fondamentalement changé la proposition liée à la manière dont les fugitifs qui risquent la peine capitale seraient traités s'ils étaient arrêtés au Canada. Il y a eu un amendement important. Cependant, il ne violait pas le principe du projet de loi. Il tentait d'en modifier les détails.

Le Sénat a pour tradition de proposer des amendements importants aux mesures législatives. En 1987, le Sénat a été saisi du projet de loi C-22 concernant les fabricants de produits pharmaceutiques. Plusieurs amendements ont été adoptés au Sénat qui, s'ils avaient été adoptés à la Chambre des communes, auraient donné lieu à un régime très différent de celui que nous avons aujourd'hui en ce qui concerne les médicaments d'ordonnance.

De même, lorsque l'on examine les amendements proposés par le Sénat en 1990 au projet de loi C-21 concernant l'assurance-chômage, on en trouve deux très importants. L'un consistait à s'assurer que le gouvernement fédéral continue de cotiser directement au régime d'assurance-chômage. Je pourrais citer bien d'autres exemples. Ce n'est pas parce qu'un amendement est important et qu'il changerait fondamentalement une disposition d'un projet de loi que cet amendement va à l'encontre du principe du projet de loi et doit être jugé irrecevable.

Le changement proposé au projet de loi C-55 est nettement moins important que ceux proposés dans le cas d'autres projets de loi comme le projet de loi C-22, en 1987 et le projet de loi C-21, en 1990.

L'honorable David Tkachuk: Honorables sénateurs, je voudrais poser une question à l'honorable sénateur Poulin. Si les amendements concernent l'exemption de l'application d'un article prévu dans le projet de loi ou d'une règle prévue dans le projet de loi, de quel article ou de quelle règle s'agit-il?

Le sénateur Poulin: Je remercie l'honorable sénateur de sa question. J'espère l'avoir bien comprise.

Les amendements prévoient des exemptions limitées et à certaines de l'application au régime de réglementation établi par le projet de loi. La nouvelle disposition 21.1 prévoit une exemption de minimis pour certains éditeurs étrangers. Cette exemption s'applique à des pourcentages ne dépassant pas ceux énoncés dans cette disposition: 12 p. 100 pour les 18 premiers mois, 15 p. 100 pour les 18 mois qui suivent cette période, et 18 p. 100 par la suite. L'application de cette exemption est donc limitée.

Le nouvel article 21.2 prévoit une exception qui est accordée aux éditeurs étrangers dont les investissements dans le domaine de l'édition des périodiques ont été approuvés aux termes de la Loi sur Investissement Canada. Cette exception est très limitée. Elle ne s'appliquerait qu'à un éditeur étranger qui désirerait investir dans un nouveau périodique au Canada au contenu majoritairement canadien. Encore là, elle ne s'appliquerait pas à la vaste majorité des éditeurs étrangers ou à leurs périodiques dont le contenu n'est pas majoritairement canadien. Enfin, cette exception ne vaut que pour une période limitée. Elle ne s'appliquera que tant que l'éditeur étranger respectera la Loi sur Investissement Canada, ses lignes directrices et ses politiques.

De par leur portée et leurs répercussions, ces deux exceptions ressemblent à la disposition sur les droits acquis qui figurait déjà dans le projet de loi, c'est-à-dire à l'article 21, puisqu'elles s'appliquent dans des cas bien précis et à des catégories bien précises d'éditeurs étrangers. Personne n'a laissé entendre que l'exception s'appliquant aux droits acquis allait au-delà du projet de loi. Par conséquent, on ne devrait pas considérer que ces amendements modifient la nature même du projet de loi.

Le régime de réglementation énoncé dans le projet de loi C-55 n'est pas grandement modifié par ces deux amendements. Le régime s'appliquera toujours à la grande majorité des éditeurs étrangers. Les deux amendements sont formulés de façon à prévoir des exemptions bien définies et bien précises. Par conséquent, ils ne minent pas les principes généraux de la mesure législative.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, je voudrais féliciter le sénateur Poulin pour les efforts qu'elle déploie dans une cause désespérée.

Je serai franc. L'objet et le principe de la version originale du projet de loi, telle que présentée au Parlement, consistaient à continuer d'exclure du marché canadien de la publicité les éditions à tirage dédoublé de magazines étrangers, tandis que l'objet et le principe du projet de loi tel qu'amendé leur donnent accès à ce marché. J'espère que l'honorable sénateur reconnaîtra la contradiction flagrante entre les deux versions.

Le sénateur Comeau: Vous avez cédé.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, nous devons nous en tenir au rappel au Règlement que fait notre honorable collègue, le sénateur Lynch-Staunton. Il ne convient pas de simplement laisser des fonctionnaires rédiger des discours sur la procédure à l'une ou l'autre Chambre du Parlement et de les prononcer ici. Nous devons fonctionner comme une Chambre indépendante et distincte du Parlement, comme une assemblée législative.

Le sénateur Poulin: J'invoque le Règlement. J'invoque le Règlement, honorables sénateurs!

Le sénateur Kinsella: Notre rôle s'inscrit dans le processus législatif. Nous devons jalousement préserver notre procédure. La présidence a un rôle important à jouer dans l'évaluation des arguments avancés lorsqu'une objection est formulée. Les arguments doivent se fonder sur la longue tradition du régime de Westminster.

À cet égard, on a cité des documents de procédure. Je tiens à attirer votre attention sur le Erskine May et le Beauchesne. Dans l'ouvrage Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, 4e édition, de Bourinot, un commentaire concerne très précisément le comité. Voici ce qu'on peut lire au bas de la page 525:

Bien qu'un comité ait plein pouvoir de modifier, jusqu'au point d'annuler, les dispositions du bill...

Dans les observations qu'elle vient de présenter, madame le sénateur Poulin y a fait allusion lorsqu'elle a cité le commentaire 689 de Beauchesne. Honorables sénateurs, écoutez bien ce que nous dit Bourinot:

Bien qu'un comité ait plein pouvoir de modifier, jusqu'au point d'annuler, les dispositions du bill, il ne peut insérer un article changeant le principe affirmé par la deuxième lecture...

Il y a une note complémentaire à cela. J'exhorte Son Honneur à consulter 251 E. Hans. (3), 1134; May, 458.

Honorables sénateurs, nous avons été nombreux, à l'étape de la deuxième lecture, à appuyer le projet de loi et le principe sur lequel il repose. Le sénateur Murray vient d'y faire allusion. Cependant, le principe n'est pas capté dans le titre du projet de loi, mais dans le texte de celui-ci. Le paragraphe clé est le 3(1):

Il est interdit à tout éditeur étranger de fournir des services publicitaires...

Tel est le principe du projet de loi.

Je renvoie Son Honneur à ce que certains d'entre nous avons eu à dire sur la difficulté d'établir avec précision la disposition de déclaration d'objet. Nous étions préoccupés par cette disposition. J'avais des doutes sur le caractère constitutionnel du projet de loi étant donné que celui-ci porte atteinte à la liberté d'expression. Pour que la disposition d'exemption de l'article 1 s'applique, il faut satisfaire à un critère explicité dans l'affaire Oakes et veiller notamment à ce que le projet de loi et son objet soient clairs.

En l'absence d'une disposition de déclaration d'objet, nous sommes forcés de nous en remettre au dispositif d'interdiction, car ce projet de loi modifie notre liberté. Il faut voir ce qui modifie la liberté. C'est l'interdiction. La loi sera une entrave à la liberté. C'est le sens de l'article 3(1) du projet de loi.

(1530)

Honorables sénateurs, le nouveau paragraphe 21.1 dit l'inverse. Il dit que l'interdiction ne s'applique pas aux éditeurs étrangers. Il stipule que les éditeurs étrangers sont soustraits à l'application de la loi. N'est-ce pas là une contradiction? Selon l'analyse logique aristotélicienne, ce n'est pas une négation absolue. Ce n'est pas une proposition négative absolue contrant une proposition affirmative absolue, mais selon les principes de base de la logique, c'est très certainement une opposition.

Par conséquent, honorables sénateurs, il est clair que le principe du projet de loi que nous avons confirmé à l'étape de la deuxième lecture est nié par cet amendement. Par conséquent, cette citation et les autres auxquelles il a été fait référence soulignent le caractère inacceptable de ce dernier.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, le sénateur Poulin a invoqué le Règlement. Je ne peux accepter un recours au Règlement au sujet d'un autre recours au Règlement, mais je suis prêt à vous entendre une deuxième fois quand j'aurai entendu le premier recours au Règlement.

L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, permettez-moi pour commencer de rectifier des propos que, j'en suis certaine, le sénateur Kinsella n'aimerait pas voir consignés au compte rendu puisqu'ils ne reflètent pas la vérité.

L'allocution du sénateur Poulin n'a été préparée ni par un membre du personnel du ministère du Patrimoine canadien, ni par un membre du personnel du ministère du Commerce international. Elle a été préparée pour elle par un membre du personnel du leader du gouvernement au Sénat, M. Len Kuchar.

Le sénateur Kinsella fait signe en direction du Bureau qu'il retire ses propos, ce dont je me réjouis.

Le sénateur Poulin a expliqué ce qui doit demeurer au centre du débat, à savoir le fonction d'un comité à l'égard d'un projet de loi. Plus particulièrement elle a mentionné le commentaire 689 de l'ouvrage Jurisprudence parlementaire, 6e édition, de Beauchesne.

Il convient de rappeler que l'aspect le plus important d'un projet de loi présenté au Sénat, voire à toute assemblée législative, est son titre. C'est le titre qui établit, si on veut, les principes fondamentaux contenus dans le projet de loi. Le titre du projet de loi est «Loi concernant les services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de périodiques». Il n'est ni positif ni négatif. Il dit simplement que le projet de loi porte sur les services fournis par des éditeurs étrangers de périodiques. Par conséquent, selon le Beauchesne, et tout autre ouvrage faisant autorité, le titre permet de modifier le projet de loi, comme l'ont fait les membres du comité hier avant d'en faire rapport hier soir au Sénat et comme il aurait été proposé s'il n'y avait pas eu le rappel au Règlement.

Honorables sénateurs, le projet de loi est clair. Il était déjà clair dans sa forme première. Il est vrai qu'il a subi d'importantes modifications. Personne ne le nie. D'importants amendements y ont été apportés. Cependant, à mon avis, honorables sénateurs, ces amendements ne s'écartent pas du tout de la portée du projet de loi et peuvent parfaitement bien être adoptés par le comité et par le Sénat.

Son Honneur le Président: D'autres honorables sénateurs qui n'ont pas encore pris la parole veulent-ils intervenir?

S'il n'y en a pas, nous entendrons l'honorable sénateur Lynch-Staunton.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, je voudrais rapidement expliquer l'intéressante évolution de la pensée de deux des parties directement touchées par le projet de loi C-55. Ensuite, j'apporterai des éléments pour renforcer - si cela peut se faire - l'évaluation sibylline, mais précise, que le sénateur Murray a faite de ce projet de loi dans sa forme actuelle, avec les amendements.

Lorsque le projet de loi C-55 a été présenté, il a reçu le soutien enthousiaste et sans condition de la Canadian Publishers Association qui, même si elle n'a pas participé activement à sa rédaction, a certainement été amplement consultée avant que le projet de loi ne soit rendu public. Tout le monde sait cela. Je n'ai rien à redire contre ce fait.

Par contre, l'Association canadienne des annonceurs a condamné le projet de loi sous prétexte qu'elle n'avait pas été consultée et n'avait été reçue par la ministre qu'une fois le projet de loi déposé. Les représentants de cette association étaient si furieux de la forme initiale du projet de loi qu'ils ont déclaré publiquement devant notre comité, et ailleurs aussi, que si ce projet de loi était adopté sans modification, ils le contesteraient en cour en invoquant les dispositions de la Charte sur la liberté d'expression.

Une fois que l'accord a été rendu public et que les amendements ont suivi, la Canadian Publishers Association a vertement dénoncé le projet de loi. J'ai la copie d'une lettre ouverte que l'association a écrite au premier ministre et qui condamne nettement l'entente, qui condamne le premier ministre personnellement, qui condamne le ministre du Commerce d'avoir laissé tomber et qui comporte des termes qui ne seraient pas autorisés à cet endroit. Le porte-parole de cette association a dit à la télévision que tout seuil supérieur à 10 p. 100 se traduirait par des pertes financières pour ces éditeurs.

Les annonceurs, par contre, se sont réjouis des amendements. Nous constatons que les deux principales parties visées par le projet de loi adoptent à son égard une approche diamétralement opposée. Si cela ne témoigne pas d'un changement de principe ou de vocation du projet de loi, je me demande bien ce que cela signifie. Cela vient renforcer notre argument selon lequel ces amendements sont tout à fait irrecevables parce qu'ils portent atteinte au principe du projet de loi dont il est fait état au paragraphe 3(1):

Il est interdit à tout éditeur étranger de fournir des services publicitaires destinés au marché canadien à un annonceur canadien...

C'est maintenant possible.

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai une remarque succincte à faire. Sauf tout le respect que je dois au sénateur Murray - et compte tenu du fait que le sénateur Lynch-Staunton, le chef de l'opposition, a lui aussi parlé du point que le sénateur Murray a fait valoir précédemment - je pense que le sénateur Murray fait erreur. Le projet de loi ne visait pas à interdire systématiquement les périodiques à tirage dédoublé. Il visait à limiter les périodiques à tirage dédoublé sur le marché canadien.

Après tout, lorsqu'il a été présenté à l'origine, le projet de loi contenait une disposition sur les droits acquis. À mon avis, ces nouvelles exemptions limitées ne vont pas à l'encontre de l'objectif du projet de loi, qui visait à limiter la capacité de pénétration du marché des périodiques à tirage dédoublé.

Le sénateur Murray: Honorables sénateurs, nous sommes en quelque sorte en train d'analyser le projet de loi. Je pense qu'il y a ici un lien avec la question de savoir si le projet de loi tel qu'amendé par le comité contredit le projet de loi qui avait été présenté ici à l'origine.

Je persiste à dire que le projet de loi original visait à maintenir l'exclusion de longue date des périodiques à tirage dédoublé du marché publicitaire canadien. Nous connaissons tous les dispositions sur les droits acquis qui sont en place depuis de nombreuses années.

L'objet du projet de loi ainsi modifié par le comité est de les laisser entrer et d'établir les conditions en vertu desquelles on les laissera entrer. Cela concerne non seulement les dispositions relatives à la règle des 18 p. 100, mais encore le fait que vous abandonnez les règles d'Investissement Canada qui ont été adoptées par le gouvernement précédent. La porte, qui était fermée et qui devait rester fermée aux termes du projet de loi, est maintenant grande ouverte. C'est une contradiction.

(1550)

Le sénateur Poulin: Honorables sénateurs, je trouve intéressant, après avoir suscité autant de débats publics sur le projet de loi C-55, que l'on reprenne maintenant le travail qui a été si bien fait par le comité. Les audiences ont donné l'occasion à tous les intéressés d'exprimer leur point de vue sur le projet de loi et ses effets possibles.

Honorables sénateurs, l'un de nos collègues a mentionné que les éditeurs ont été consultés au sujet de la rédaction du projet de loi. Soyons très clairs à cet égard. J'estime que les éditeurs ont été consultés au sujet de la politique. Les éditeurs n'ont pas rejeté le projet de loi. Ils ont formulé des réserves au sujet des amendements. Si ma mémoire est bonne, la ministre a rappelé aux membres du comité hier que le premier ministre lui a demandé de concevoir un mode de compensation pour ceux qui pourraient accuser des pertes dans l'industrie canadienne de l'édition.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, je ne pense pas que cela devrait faire partie de l'argument, mais si c'est le cas, cela renforce alors mon argument. Des éléments ont été ajoutés au projet de loi C-55 dont nous ne sommes pas au courant. Le sénateur Poulin a parlé du fonds des magazines. Les amendements et le fonds des magazines sont indissociables. S'il n'y a pas d'amendements, il n'y a pas de fonds des magazines. Nous avons sûrement le droit de savoir de combien d'argent il s'agit. Cette mesure est un pseudo-projet de loi de crédits. Le fait que le sénateur Poulin soulève cette question renforce l'argument voulant que ces amendements n'ont aucune raison d'être à l'heure actuelle.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, à propos du point soulevé, le projet de loi est complet et n'a rien à voir avec les subventions. Nous pouvons adopter le projet de loi sans qu'il soit question des subventions. L'un ne dépend pas de l'autre.

Le sénateur Lynch-Staunton: Dans son témoignage devant le comité hier, la ministre a dit ceci:

Nous demandons au Sénat d'examiner les amendements [..] et j'espère qu'il les adoptera et en fera rapport à la Chambre.

Je veux mentionner deux autres dispositions faisant partie des amendements présentés cette semaine...

En somme, elle a dit que cette entente comportait trois éléments et que les amendements en faisaient partie.

Elle a dit ceci:

Deuxièment, un fonds sera probablement créé pour venir en aide à l'industrie canadienne des périodiques.

C'est ce qu'elle a dit dans son témoignage et durant la période des questions et réponses. La ministre a soulevé ce point. Le sénateur Poulin a aussi soulevé ce point. J'ai soulevé ce point comme un argument secondaire. Cela devient maintenant un argument principal, et je suis ravi qu'il soit reconnu comme tel.

Le sénateur Poulin: Honorables sénateurs, comme on l'a dit clairement au comité, ni la ministre, ni le gouvernement ne font fi des règles d'Investissement Canada. En fait, il est clair que, si un éditeur étranger se conforme à ces règles, le projet de loi C-55 ne l'empêchera pas de publier un périodique à contenu canadien.

L'article 21.2 vise à harmoniser le projet de loi avec la Loi sur Investissement Canada. Comme l'a dit le leader du gouvernement au Sénat, ce projet de loi est complet. Le comité s'est fixé des objectifs, et nous croyons avoir atteint ces objectifs en écoutant tous les témoins et tous les intervenants et en faisant l'étude article par article du projet de loi hier. Par suite de ce processus, nous proposons des amendements au projet de loi.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, la question qui vient d'être soulevée devait faire l'objet d'un rappel au Règlement que j'avais l'intention de soulever, à savoir si ce projet de loi est maintenant une mesure financière. Si les sénateurs et Son Honneur le jugent utile, je peux avancer dès maintenant mes arguments concernant ce rappel au Règlement, puisqu'il s'agit de choses connexes, ou encore je peux attendre que cette première question soit réglée. Nous n'avons pas l'intention de retarder cette question, mais nous voulons qu'elle soit traitée de façon appropriée.

Son Honneur le Président: Dans son discours, le sénateur Lynch-Staunton a soulevé la question de savoir si le projet de loi est une mesure financière ou non. Nous sommes donc déjà saisis de la question et je suis prêt à entendre les points de vue des sénateurs à ce sujet.

Le sénateur Kinsella: Je remercie Son Honneur.

Dans son témoignage devant le comité hier, la ministre a parlé d'un ensemble de trois éléments. Le premier était le projet de loi C-55 et le second, le fonds d'aide aux éditeurs, qui est lié au projet de loi puisqu'il constituera une forme d'indemnisation directement liée aux amendements qui seront proposés. C'est pourquoi nous avons souligné, durant l'étude en comité, qu'il faudrait examiner le projet de loi à la lumière de cette mesure d'indemnisation.

Depuis l'annonce de l'entente intervenue entre le Canada et les États-Unis à ce sujet, la création d'un fonds d'aide aux éditeurs est de notoriété publique. Le président de la Canadian Magazine Publishers Association, M. François de Gaspé Beaubien, a longuement parlé en public du fonds d'aide aux éditeurs, en fin de semaine dernière. Il a même été question de montants. Des sommes énormes sont en jeu. La question a donc pris une importance considérable, compte tenu des sommes que le Trésor devra débourser.

Je crois que nous devons tenir compte de ce que des comités peuvent faire et ne peuvent pas faire lorsqu'ils examinent un projet de loi qui comporte, directement ou indirectement, des dispositions qui prévoient des paiements provenant du Trésor.

Je renvoie Son Honneur à la page 524 de Bourinot, qui me sert de référence. D'autres se sont fondés sur Beauchesne et Erskine May. Dans l'ouvrage Parliamentary Procedure, 4e édition, Bourinot indique ce qui suit:

Un comité ne peut approuver des dispositions comportant des paiements effectués à même les fonds publics...

La ministre a déclaré dans sa déposition que le projet de loi C-55 fait partie d'un ensemble de mesures qui prévoient le paiement de sommes considérables. Le projet de loi C-55 contient trois éléments, dont le projet de loi lui-même. La question est très problématique de ce point de vue aussi.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, je ne puis malheureusement pas citer les discours faits dans l'autre endroit, mais je puis assurément citer ceux qui sont prononcés ici. À l'étape de la deuxième lecture, le sénateur Graham a expliqué le principe du projet de loi. Il déclarait:

Si nous voulons garantir la viabilité continue de notre industrie du magazine, nous devons garantir l'accès continu aux revenus provenant de la vente de services de publicité. C'est exactement ce que ferait le projet de loi C-55. Le projet de loi C-55 interdirait aux éditeurs étrangers de fournir des services de publicité...

Avec les propositions d'amendement, cette interdiction disparaîtra.

Il a ajouté:

Il garantira que seuls les éditeurs canadiens pourront vendre des services publicitaires destinés au marché canadien...

Avec les propositions d'amendement, cette latitude disparaîtra.

Le sénateur Graham a dit également:

Je viens de dire que nous n'avons aucun amendement prévu et que nous n'avons pas l'intention d'apporter des amendements.

Nous avons donc compris que le projet de loi serait envoyé au comité et en reviendrait sans proposition d'amendement de la part du gouvernement.

Finalement, en réponse à une question, le sénateur Graham a dit:

Écoutez bien, honorables sénateurs. Les principes énoncés dans ce projet de loi sont de protéger la culture canadienne et de donner aux auteurs canadiens et aux rédacteurs en chef des périodiques canadiens une chance de faire leur travail et de nous dire encore ce qu'être Canadien veut dire. Tels sont les principes derrière le projet de loi.

Cette garantie est disparue. Le principe a volé en éclats.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, le sénateur Kinsella a parlé d'un ensemble de mesures. Nous sommes saisis d'un projet de loi, non d'un ensemble de mesures. Je mets l'opposition au défi de trouver un article du projet de loi qui prévoie la dépense d'argent. Il n'y a aucune disposition à cet égard.

Ce qu'on appelle le fonds des éditeurs pourrait être établi peu importe ce qu'il adviendra du projet de loi C-55. Ce projet de loi ne crée pas un tel fonds et n'autorise aucun débours en ce sens. À mon avis, honorables sénateurs, il faut faire un acte de foi pour croire qu'il s'agit d'un projet de loi de finances du simple fait qu'un fonds peut être créé, alors qu'il n'en est même pas question dans la mesure législative elle-même.

(1600)

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, nous savons tous que le projet de loi C-55 a été une véritable odyssée au cours de laquelle les ministériels, tels des marins, ont navigué dans toutes les directions. Que faut-il en penser? Le ministre Marchi avait un point de vue particulier, et Mme Copps avait un point de vue qui me paraissait juste. Voilà maintenant que le ministre Graham en exprime un autre.

L'essentiel, ce me semble, honorables sénateurs, c'est que la ministre, l'auteure du projet de loi, a comparu devant notre comité. Elle a parlé d'un ensemble de mesures. C'est ce que nous avons entendu de la bouche de la ministre qui représente le gouvernement du Canada. Il se trouve qu'elle est la ministre qui parraine le projet de loi. Si un témoin, en l'occurrence une ministre, nous dit ce qu'il en est, force nous est de croire ce qu'elle nous dit au sujet du projet de loi. La ministre qui parraine le projet de loi le connaît sûrement mieux qui quiconque. C'est pourquoi nous prêtons l'oreille à ses propos. Nous la croyons sur parole. C'était un ensemble de mesures.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je suis le ministre qui parraine ce projet de loi dans cette enceinte. Je vous dis que cette mesure législative n'a rien à voir avec un projet de loi de finances.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous n'appuyez pas les amendements, donc.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, si aucun autre sénateur ne désire se prononcer sur le rappel à l'ordre double, je vais prendre l'affaire en délibéré.

Le Code criminel

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Lavoie-Roux, appuyée par l'honorable sénateur Butts, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-29, Loi modifiant le Code criminel (protection des patients et des soignants).-(L'honorable sénateur Carstairs).

L'honorable Mabel M. DeWare: Honorables sénateurs, je suis heureuse de donner mon appui au projet de loi S-29, qui vise à modifier le Code criminel de façon à mieux protéger les patients et les soignants pour ce qui est des soins palliatifs, ainsi que de la décision de s'abstenir d'administrer un traitement de survie ou d'en interrompre l'administration.

Je félicite l'honorable sénateur Lavoie-Roux d'avoir présenté cette mesure législative importante. J'ajoute qu'elle se faisait attendre depuis longtemps. Après tout, comme le sénateur Lavoie-Roux l'a mentionné, le projet de loi S-29 va dans le sens de la recommandation que la Commission de réforme du droit avait formulée en 1983. Elle a aussi fait remarquer que l'Association médicale canadienne pressait le gouvernement depuis 1992 d'apporter la précision que cherche à donner ce projet de loi. En outre, le projet de loi S-29 reprend fidèlement certaines recommandations qu'avait formulées le comité du Sénat sur l'euthanasie et l'aide au suicide. Dans ce contexte et compte tenu de l'appui de plus en plus fort du public pour des lignes directrices claires en la matière, j'estime que c'est un projet de loi que le gouvernement avait raison de présenter.

C'est un projet de loi qui m'intéresse particulièrement étant donné que j'ai, moi aussi, fait partie du comité spécial du Sénat sur l'euthanasie et l'aide au suicide. Ce fut une expérience très émouvante. Nous étions tous très conscients de l'énorme responsabilité qui nous avait été confiée. Nous prenions notre travail au sérieux. Nous avons relevé le défi de notre mandat avec enthousiasme. À mon avis, notre rapport était réfléchi et a été bien reçu. Le fait qu'il ait résisté à l'examen du public depuis sa parution, il y a quatre ans, témoigne de la qualité du travail du comité. D'ailleurs, le public s'y intéresse tellement qu'il a fallu procéder à un nouveau tirage.

Le projet de loi S-29 tient compte de certaines recommandations figurant dans le rapport, à savoir celles concernant les soins palliatifs et la non-administration ou l'interruption du traitement. Comme d'autres sénateurs l'ont fait remarquer, il ne s'attaque pas aux questions controversées de l'euthanasie et de l'aide au suicide. Il n'est pas question ici de rouvrir ce débat.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-29 n'a pas rapport à la mort, mais à la vie. Il s'agit de permettre aux Canadiens d'exercer un certain contrôle sur leur qualité de vie lorsqu'ils sont confrontés à une maladie grave, à la douleur et à des souffrances physiques. Il s'agit d'autoriser les soignants à satisfaire à leurs désirs sans crainte d'être poursuivis.

À l'heure qu'il est, les patients et les professionnels de la santé ne savent pas très bien que faire. Le projet de loi S-29 a pour but de les guider. Il a pour but de guider certains aspects du traitement tout en veillant à protéger les droits et intérêts des personnes concernées.

Il est plus que jamais nécessaire d'agir. Notre population vieillit, la maladie nous guette et de plus en plus de Canadiens ont à faire face au type de situation dont traite le projet de loi S-29. Les progrès de la médecine signifient que la vie peut souvent être prolongée au-delà d'un stade où il n'y a plus aucune qualité de vie. Donc, de plus en plus de Canadiens font des testaments biologiques afin de préciser leurs volontés en matière de traitement au cas ils deviendraient incapables de les exprimer.

Le projet de loi S-29 est explicite. Il vise simplement à mettre à l'abri de la responsabilité pénale les soignants qui respectent les instructions nettes que leur ont données leurs patients librement et en connaissance de cause. À cet effet, il prévoit des normes et des lignes directrices établies par le ministre de la Santé en matière de traitement de survie et de soulagement de souffrances et autres symptômes physiques graves. Le ministre de la Santé détermine aussi les limites raisonnables en matière de dosage des médicaments ainsi que les circonstances dans lesquelles il est acceptable d'excéder ces limites afin de soulager la souffrance et les autres symptômes physiques graves d'une personne.

Le projet de loi S-29 prévoit aussi que le ministre de la Santé doit consulter les provinces et les soignants afin d'établir les normes et lignes directrices mentionnées. Il y aura une grande place pour les consultations.

Le projet de loi est assez simple, mais ses implications sont énormes. Je dois souligner que c'est un bon projet de loi car ces normes et lignes directrices permettront aux Canadiens d'avoir un meilleur contrôle sur leur qualité de vie. Les soignants auront un meilleur sentiment de sécurité, car ils sauront exactement ce qu'il leur est permis ou interdit de faire lorsqu'ils soignent des malades en phase terminale. Pour eux comme pour leurs malades, il y aura plus de certitude et moins d'ambiguïté.

Honorables sénateurs, j'aimerais reprendre un énoncé déjà formulé par notre collègue, le sénateur Beaudoin, qui a souligné que les décisions prises dans les secteurs clés des soins palliatifs, du refus de traitement et du retrait des respirateurs artificiels relèvent du Parlement. Il existe un vide législatif à cet égard que certains groupes professionnels, des Canadiens de partout au pays et les membres d'un comité sénatorial spécial nous ont demandé de combler. Je suis persuadée que certains croient que les tribunaux pourront prendre ce genre de décision pour nous et que si nous ne le faisons pas nous-mêmes, ils le feront probablement lorsque de nouveaux cas se présenteront et que les anciens suivront leur cours. Toutefois, cela ne serait certes pas une très bonne raison d'appuyer le projet de loi à l'étude. À titre de législateurs, nous avons le devoir de prendre nous-mêmes ces décisions de façon à tenir compte des meilleurs intérêts des Canadiens. Nous ne devrions pas laisser cette responsabilité aux tribunaux. Nous avons maintenant l'obligation de l'assumer en adoptant le projet de loi S-29.

Le projet de loi S-29 est un projet de loi important et très opportun et j'exhorte tous les sénateurs à l'appuyer. Je suis persuadée que le sénateur Lavoie-Roux pourra compter sur l'appui de tous les sénateurs.

En conclusion, honorables sénateurs, je propose que le projet de loi S-29 soit soumis à l'étude du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur DeWare, je ne peux accepter cette motion puisque d'autres sénateurs pourraient souhaiter participer au débat.

(Sur la motion du sénateur Corbin, le débat est ajourné.)

Finances nationales

Autorisation au sous-comité sur la protection civile de siéger en même temps que le Sénat

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion:

L'honorable Terry Stratton: Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et par dérogation à l'alinéa 58(1)a) du Règlement, je propose:

Que le Sous-comité sur la protection civile du comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à siéger à 17 heures aujourd'hui, le mardi 1er juin 1999, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application de l'article 95 (4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la permission est-elle accordée?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

La Loi électorale du Canada

Projets de loi modificatifs-Deuxièmes lectures-suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Andreychuk, appuyée par l'honorable sénateur Rossiter, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-28, Loi modifiant la Loi électorale du Canada (heures du scrutin en Saskatchewan).-(L'honorable sénateur Carstairs).

Et l'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Lynch-Staunton, appuyée par l'honorable sénateur Grimard, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-27, Loi modifiant la Loi électorale du Canada (heures du scrutin aux élections partielles).-(L'honorable sénateur Carstairs).

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'aimerais dire un ou deux mots au sujet des projets de loi S-28 et S-27 présentés respectivement par les sénateurs Andreychuk et Lynch-Staunton. Comme ils portent tous les deux sur la Loi électorale du Canada, j'aimerais en parler en même temps, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Son Honneur le Président: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, pour permettre au sénateur Graham de traiter les deux projets de loi en même temps même si techniquement, tel n'est pas le cas?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je voudrais d'abord faire une observation sur le projet de loi S-27, parrainé par le chef de l'opposition, le sénateur Lynch-Staunton. Je suis d'avis que ce projet de loi traduit une approche sensée pour résoudre un problème auquel nous aurions tous dû nous attaquer il y a déjà longtemps. Je suis également de cet avis en ce qui concerne le projet de loi S-28, parrainé par le sénateur Andreychuk. Honnêtement, le simple fait que le Sénat soit maintenant saisi de ces deux projets de loi confirme qu'il n'a pas rempli son rôle de chambre de réflexion quand il s'est penché sur le projet de loi C-63, en 1996. Cette situation ne se présente pas souvent au Sénat parce que d'habitude, nous amendons les mesures qui doivent l'être et de tels amendements ne nous échappent guère quand nous examinons tous les projets de loi venus de l'autre endroit. Je félicite les sénateurs Lynch-Staunton et Andreychuk d'avoir attiré notre attention sur ces questions.

Pour bien situer le contexte, rappelons qu'avant les modifications apportées par le projet de loi C-63, les bureaux de scrutin étaient ouverts de 9 heures à 20 heures, heure locale, lors de la tenue d'élections générales. Autrement dit, on commençait à rendre publics les résultats officieux dès qu'étaient comptés les suffrages exprimés par les électeurs dans les bureaux de scrutin - habituellement 30 minutes après la fin du scrutin dans chaque fuseau horaire. Comme le Canada compte six fuseaux horaires, il y avait un risque que d'importants résultats obtenus dans l'est du Canada soient connus avant même que le scrutin prenne fin dans l'ouest du Canada. Il en résultait des difficultés du fait que de nombreux électeurs de l'Ouest avaient l'impression que les élections fédérales étaient déjà décidées avant qu'ils aient fini de se prononcer.

En 1991, la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, connue alors sous le nom de commission Lortie, a reçu de la part des témoins qui ont participé à ses audiences des messages forts selon lesquels certains Canadiens de l'Ouest estimaient que leur vote comptait beaucoup moins que celui des Canadiens de l'Est. Certains ont même informé la commission que cette situation les avait incités à ne pas voter du tout, ce qui est une tragédie dans notre système démocratique. C'est pourquoi le projet de loi C-63 a été présenté en 1996.

Ce projet de loi apportait deux modifications en ce qui concerne les heures de scrutin. D'abord, le nombre total d'heures de scrutin est passé de 11 à 12 heures; ensuite, les heures d'ouverture et de fermeture des bureaux de scrutin ont été étalées dans chaque fuseau horaire du pays. L'étalement des heures prévoyait que les bureaux de scrutin locaux soient ouverts de 8 h 30 à 20 h 30 à l'heure de Terre-Neuve et de l'Atlantique, de 9 h 30 à 21 h 30 à l'heure de l'Est, de 8 h 30 à 20 h 30 à l'heure du Centre, de 7 h 30 à 19 h 30 à l'heure des Rocheuses, et de 7 h à 19 h à l'heure du Pacifique. Je ne mentionne cela qu'aux fins du compte rendu.

Ce régime d'étalement des heures de scrutin a également été appliqué aux élections partielles, car les gens de l'Ouest craignaient que des élections partielles n'aient lieu simultanément dans diverses régions du pays. Le nouveau régime a été élaboré pour faire en sorte que la majorité des résultats des élections soient connus à peu près en même temps. Cependant, je conviens avec le sénateur Lynch-Staunton que le bien-fondé de l'étalement des heures de scrutin, dont il a été discuté lors de la présentation du projet de loi C-63, est peut-être moins présent dans le cas d'une seule élection partielle ou même dans le cas de plusieurs élections partielles tenues simultanément dans le même fuseau horaire.

Comme le sénateur Lynch-Staunton l'a dit, à l'heure actuelle, la Loi électorale du Canada ne fait aucune distinction entre des élections générales et des élections partielles. Je conviens donc avec le sénateur qu'il y a certes de la place pour des améliorations. Les Canadiens devraient pouvoir voter aux heures les plus commodes dans toute élection, y compris dans des élections partielles. Selon le sénateur Lynch-Staunton, cela signifie entre 8 heures et 20 heures, heure locale, chaque fois qu'une élection partielle a lieu, si je comprends bien. Cela semble éminemment raisonnable, bien que j'hésite à approuver cette idée lorsqu'un grand nombre d'élections partielles sont tenues simultanément dans différentes régions du pays. En pareil cas, le nouveau régime d'étalement des heures de scrutin est peut-être encore préférable, mais c'est une question dont nous pourrons tous discuter plus longuement.

Les heures d'ouverture des bureaux de scrutin font aussi l'objet de l'initiative du sénateur Andreychuk dans le projet de loi S-28. En 1996, au moment de l'adoption du projet de loi C-63, qui établissait un système d'heures de scrutin échelonnées, on n'a pas suffisamment tenu compte de la situation particulière de la Saskatchewan. C'est la seule province qui n'adopte pas l'heure avancée et qui, comme le sénateur Andreychuk l'a décrit, possède une loi provinciale autorisant des variations locales pendant les saisons estivale et hivernale. Par conséquent, à l'occasion de la dernière élection générale, qui a eu lieu le 2 juin 1997, les électeurs de certaines parties de la Saskatchewan ont été les derniers au pays à déposer leur bulletin de vote, en dépit de l'objectif visé par le régime des heures échelonnées, qui prévoyait que les électeurs de la Colombie-Britannique seraient les derniers à se présenter aux bureaux de scrutin. Quelque chose doit donc être fait pour corriger cette situation. D'ailleurs, ce besoin a été reconnu par tout le monde, y compris le directeur général des élections.

Honorables sénateurs, les projets de loi S-27 et S-28 sont des initiatives très louables destinées à corriger des lacunes qui auraient dû être repérées auparavant. Il n'y a pas lieu de nous surprendre qu'un comité de l'autre endroit ait récemment mené une analyse en profondeur de la Loi électorale du Canada et ait reconnu expressément le problème auquel les deux projets de loi veulent apporter une solution.

(1620)

Je sais aussi que le leader du gouvernement à la Chambre des communes, qui est le ministre responsable des questions électorales, a analysé ces problèmes. En réaction au rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, M. Boudria s'est engagé, au nom du gouvernement, à présenter un projet de loi concernant la réforme électorale qui, selon lui, «ferait écho au travail entrepris par le comité».

Honorables sénateurs, les questions soulevées par le sénateur Lynch-Staunton dans le projet de loi S-27 et par le sénateur Andreychuk dans le projet de loi S-28 sont importantes, et je les ai moi-même portées à l'attention du ministre. Je crois comprendre qu'elles pourraient être abordées dans le projet de loi plus général de modification que j'ai évoqué.

Par conséquent, avant d'aller beaucoup plus loin avec ces projets de loi, je prie les honorables sénateurs d'attendre la présentation du document qui, je l'espère, abordera en profondeur la question des heures de scrutin, ainsi que d'autres questions électorales. Si j'ai bien compris, ce projet de loi sera présenté sous peu.

(Sur la motion du sénateur Carstairs, le débat est ajourné pour les deux projets de loi.)

La Loi sur la taxe d'accise

Projet de loi modificatif-Étude du rapport du comité-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Murray, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Cochrane, tendant à l'adoption du quinzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie (projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, avec un amendement), présenté au Sénat le 9 décembre 1998.-(L'honorable sénateur Carstairs).

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, la plupart des gens conviendront que la lecture est l'une des compétences les plus importantes qu'une personne et, par extension, une population puissent posséder. La plupart reconnaîtront aussi qu'un des meilleurs moyens de favoriser cette compétence, c'est de rendre disponibles les publications et autres articles de lecture. Le simple bon sens dit que tout ce qui facilite l'accès à la lecture est bon, et que tout ce qui le limite est mauvais. Le projet de loi S-10, qui supprime la TPS sur les articles de lecture, est assurément bon.

Cependant, n'allons pas trop vite, et ne soyons pas trop prompts à juger. Il faut prendre au sérieux les arguments de ceux qui s'opposent au projet de loi S-10. Toutefois, nous ne devons pas nous laisser bousculer et penser que ces arguments mettent un terme au débat, qu'ils sont plus convaincants que les arguments en faveur du projet de loi.

Je vais appuyer le projet de loi S-10 de deux façons. Tout d'abord, je vais souligner les bienfaits qu'aura l'adoption du projet de loi. Deuxièmement, je vais examiner certains des arguments des opposants, montrer qu'ils ne tiennent pas ou que les coûts liés à ces articles sont inférieurs aux avantages.

La lecture est un don qu'on peut partager avec autrui. Les érudits estiment que c'est l'écriture qui est le point de démarcation entre l'histoire et la préhistoire. Avant l'écriture, le monde était rempli de ténèbres. L'écriture lui a donné lumière et espoir. Cela s'est passé il y a des milliers d'années. Encore aujourd'hui, la capacité de lire est une frontière semblable entre l'obscurité et la lumière.

Les témoins qui se sont succédé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie - auteurs, enseignants, étudiants, artistes, bibliothécaires et éditeurs - ont parlé avec éloquence du don de l'alphabétisation. Les auteurs ont parlé de la magie du livre et expliqué comment, dans l'enfance, la lecture leur a ouvert ce monde de magie. Nous pouvons nous enthousiasmer à l'idée d'ouvrir ce monde à tous les enfants canadiens, mais nous pouvons aussi être pragmatiques, lorsque nous discutons du don de la lecture.

Je crois que pas un seul sénateur ne pourrait imaginer la vie sans lecture, sans journaux, sans livres et sans magazines, et c'est sans compter les nombreux documents d'information qui s'accumulent et sont nécessaires aux travaux des comités sénatoriaux et aux débats sur les mesures législatives proposées, comme celle d'aujourd'hui. On peut parler sans fin des avantages de savoir lire et écrire. On peut souligner les aspects artistiques et culturels, l'aspect magique pour certains ou encore les aspects pratiques. Chacun reconnaîtra l'importance de l'alphabétisation, peu importe sa position à l'égard du projet de loi S-10. Il importe donc d'examiner l'alphabétisation de plus près pour comprendre comment le projet de loi S-10 pourrait favoriser l'apprentissage de la lecture au Canada.

Parlons d'abord de l'opposition au projet de loi, que je considère comme cavalière. Les détracteurs de cette mesure affirment que les illettrés n'achètent pas de livres et demandent comment on leur viendrait en aide en supprimant la taxe sur les articles de lecture. La plupart du temps, l'argument n'est pas présenté aussi crûment. Après tout, l'éducation de ces gens exige qu'on fasse preuve de tact. Ils présentent leur objection autrement, en affirmant qu'il existe de meilleures politiques pour combattre l'analphabétisme.

Examinons un peu cet argument. Les défenseurs du projet de loi S-10 ne proposent pas que ce soit le seul outil contre l'analphabétisme. Il y a plusieurs flèches dans le carquois et il faut les essayer toutes. Le projet de loi S-10 est un complément important aux autres politiques comme une meilleure éducation et des programmes centrés directement sur l'acquisition ou l'amélioration des compétences en lecture.

Analysons maintenant le jugement sévère porté contre les analphabètes, à qui on reproche de ne pas acheter de livres. Il y a deux façons de répliquer à ce jugement. Premièrement, les groupes participant directement ou indirectement à la lutte contre l'analphabétisme achètent des livres et des imprimés. Ces groupes, qui disposent souvent de petits budgets, se réjouiraient sûrement de l'abolition de la taxe sur les imprimés. Il y a toutefois un autre argument plus solide que nous pouvons opposer à ce jugement sévère. Cet argument se fonde sur la définition de l'alphabétisation. Trop souvent, on pense seulement en fonction de deux groupes: ceux qui ne savent pas lire et ceux qui savent lire. En fait, l'alphabétisation n'est pas si facile à définir; ce n'est pas tout noir ou tout blanc. Il y a plusieurs niveaux d'alphabétisation. Dans une économie industrialisée comme celle du Canada, le grand problème consiste à veiller à ce qu'un nombre suffisant de travailleurs possèdent un niveau relativement élevé d'alphabétisation.

L'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes, à laquelle participe le Canada, utilise quatre ou cinq niveaux d'alphabétisation. Les résultats pour le Canada ont de quoi nous inquiéter. Selon les résultats de l'enquête, 43 p. 100 des Canadiens âgés entre 16 et 65 ans se classent dans les deux catégories d'alphabétisation les plus faibles.

Selon la vieille définition de l'alphabétisation, qui permettait seulement de distinguer ceux qui savaient lire et ceux qui ne savaient pas lire, en demandant aux gens: «Pouvez-vous signer ou lire votre nom?», ou encore «Pouvez-vous lire une phrase toute simple?», presque tous les Canadiens savent lire et écrire. D'ailleurs, selon cette vieille définition, dans presque tous les pays les plus industrialisés, la majorité de la population sait lire et écrire. Toutefois, la capacité de signer son nom ne suffit pas dans l'économie mondiale et avancée où le Canada doit soutenir la concurrence. Les Canadiens doivent savoir bien lire. Si l'on veut accroître la productivité du Canada, il faut compter sur une main-d'oeuvre spécialisée et bien instruite. Il faut qu'une plus grande proportion de notre population atteigne les niveaux élevés d'alphabétisation. Comment y parvenir? Nous devons inciter ceux qui ont un niveau d'alphabétisation de base à perfectionner leur capacité à lire. Autrement dit, il faut encourager les Canadiens à lire davantage. C'est la meilleure façon pour eux de se perfectionner.

Pour encourager les Canadiens à lire davantage, il faut qu'ils aient accès à plus de livres, c'est évident. Voilà où le projet de loi S-10 entre en jeu. L'abolition de la taxe sur les imprimés contribue à réduire le prix des livres et des périodiques. La TPS n'est que de 7 p. 100. On peut donc se demander dans quelle mesure l'abolition de la taxe contribuera à élever le niveau d'alphabétisation au Canada. Il y a plusieurs façons de répondre à cette question. Premièrement, la plupart des autres pays ont pris l'habitude d'abolir ou de réduire la taxe sur les livres. Ce n'est pas parce que des pays le font qu'il n'existe pas d'autres solutions, comme le statu quo, mais cela devrait nous donner matière à réfléchir. Même si l'incidence de la suppression de la taxe était modérée, ce serait quand même un pas dans la bonne direction. Même si elle était minuscule, la valeur symbolique de la suppression de la taxe serait énorme.

Nous pouvons tous convenir qu'il est bon de savoir lire. Nous pouvons tous convenir que l'alphabétisme est un cadeau qui devrait être donné à tout le monde. Nous pouvons tous convenir qu'il serait bon d'améliorer les capacités de lecture et d'écriture, surtout lorsqu'elles sont relativement faibles. Nous pouvons montrer que nous convenons de tout cela en appuyant la suppression de la taxe sur les imprimés.

Voyons maintenant d'autres objections contre le projet de loi S-10.

(1630)

La plupart peuvent être qualifiées d'économiques. Les adversaires du projet de loi S-10 n'en contestent pas l'objet, mais bien l'inefficacité. Ils estiment que son adoption ferait que l'économie - du moins la partie de l'économie qui a trait aux finances publiques - fonctionne moins rondement et que son coût soit trop élevé.

Commençons par le coût. Le projet de loi S-10 est-il trop coûteux? Toute réduction de l'assiette fiscale entraîne évidemment une réduction des recettes fiscales. Le coût du projet de loi S-10 se résume donc à la réduction des recettes de la TPS. Des témoins qui ont comparu devant le comité des affaires sociales ont présenté diverses estimations de ce coût. Des représentants du ministère des Finances l'estime à quelque 300 millions de dollars, alors que la coalition contre l'imposition des imprimés l'évalue à 182 millions de dollars. Aucune de ces estimations n'est insignifiante et les deux suscitent des réserves.

La différence s'explique peut-être, en partie, par le traitement fiscal réservé aux services publicitaires. Les services comme la publicité liée aux articles de lecture continueraient d'être assujettis à la TPS, de sorte que le gouvernement ne perdrait pas les recettes à ce titre et que le projet de loi S-10 n'occasionnerait pas de coût à cet égard.

On peut aussi faire un autre rajustement lié à la hausse des recettes fiscales qui résulterait d'une augmentation de l'activité à la suite de l'élimination de la taxe sur les articles de lecture. Selon la Don't Tax Reading Coalition, l'impôt sur le revenu des sociétés et des particuliers augmenterait de 60 millions de dollars, ce qui ramène à environ 120 millions de dollars les coûts que la coalition associe au projet de loi S-10. Je répète que ce n'est pas un montant insignifiant, mais si nous voyons cela comme un investissement, ce n'est pas une somme si faramineuse non plus.

Ce qui est paradoxal, c'est que les mêmes économistes qui craignent les coûts trop élevés du projet de loi S-10 s'inquiètent aussi de la trop faible productivité du Canada. Or, toute politique qui vise à améliorer les compétences des Canadiens a certainement des effets positifs sur la productivité à venir. Autrement dit, on ne peut pas prétendre s'inquiéter de la productivité si l'on n'est pas disposé à investir dans les compétences qui contribueront à améliorer notre productivité. Par conséquent, si l'on pense que le projet de loi S-10 est un investissement capital, son coût semble relativement modeste.

Certains ont dit que le projet de loi S-10 était peut-être trop complexe sur le plan administratif. Le ministère des Finances a fait valoir ce coût associé au projet de loi S-10. Il a mentionné l'efficience économique, l'équité pour les consommateurs et l'application sur le plan administratif. Certains fonctionnaires ont dit craindre qu'en soustrayant les articles de lecture à l'application de la TPS, on rende le système trop complexe.

Jetons un coup d'oeil à la taxe de vente harmonisée, la TVH, qui repose sur un accord que le gouvernement fédéral a conclu avec trois provinces des Maritimes, soit le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse, pour voir de quelle façon on peut venir à bout de la complexité associée à la suppression de la taxe sur les articles de lecture. Techniquement, la TVH s'applique à tous les articles de lecture, et l'on peut obtenir un remboursement de la part provinciale de la taxe sur l'achat de livres admissibles. En fait, le remboursement se produit au point de vente, si bien que, dans les faits, la part provinciale n'est jamais payée.

Le Québec a conclu avec le gouvernement fédéral un accord sur la taxe de vente qui, même s'il est différent de l'accord concernant la TVH, prévoit aussi la remise au point de vente de la part provinciale de la taxe de vente mixte.

A-t-on entendu des plaintes sérieuses voulant que le traitement des articles de lecture sous le régime de la TVH ou au Québec soit trop compliqué? A-t-on sérieusement affirmé que le traitement différentiel des livres sous le régime de la TVH aurait pour effet de miner le régime de la TVH? La réponse est non. La conclusion, c'est que le régime de la TPS pourrait également faire place à une exclusion de son assiette.

L'application de la TVH montre également de quelle manière on peut aussi s'occuper de toute complexité causée par une définition spécifique d'article de lecture. L'exemption de la portion provinciale de la TVH ne s'applique qu'aux livres, qui comprennent les livres sonores, les livres saints de n'importe quelle religion et les abonnements aux journaux universitaires. Les libraires qui ont comparu devant le comité des affaires sociales ont fait remarquer que la plupart d'entre eux disposent de registres informatisés qui rendent négligeables les coûts d'observation administratifs.

Toute modification apportée à une loi en vigueur entraîne des complexités. Il est toujours facile d'affirmer qu'un changement donné entraîne une trop grande complexité. C'est le cas typique des tenants du statu quo, mais il arrive parfois que les changements soient à la fois bénéfiques et nécessaires.

L'une des craintes exprimées devant le comité des affaires sociales, c'est que la suppression de la TPS sur les articles de lecture risque d'entraîner de plus en plus de demandes de suppression de la TPS sur d'autres biens et services. On a parlé des combustibles de chauffage des maisons et des vêtements des enfants. Les candidats à un traitement spécial sont légion, ce qui n'est pas du tout inhabituel. Pour tout impôt, il existe un groupe d'intérêt spécial qui estime devoir en être exempté. C'est vrai dans tous les pays et à toutes les époques où les pouvoirs publics ont utilisé des impôts pour recueillir des fonds. Nous le savons et le ministère des Finances le sait. Les fonctionnaires du ministère des Finances sont d'ailleurs passés maîtres dans l'art de dire non. Parfois, pour d'excellentes raisons, ils disent oui. Ils accordent un allégement fiscal à certains groupes, comme les agriculteurs, les personnes âgées, les contribuables à bas revenus ou les écologistes. Le ministère des Finances doit peser les avantages de l'exclusion d'un groupe de l'assiette fiscale contre les coûts financiers et autres d'une telle mesure.

Même si la TPS est de 7 p. 100 partout au Canada et sur tous les articles assujettis à cette taxe, les lecteurs de livres en français ont peut-être un fardeau plus lourd à porter pour ce qui est du montant de TPS qu'ils paient sur leurs livres. La raison est fort simple. Les livres en français ont tendance à coûter plus cher que les livres équivalents en anglais. Il y a plusieurs facteurs qui expliquent cette différence de prix. Les frais de transport sont plus élevés pour les livres en français importés que pour les livres en anglais importés, ces derniers venant le plus souvent des États-Unis. Beaucoup des livres en français vendus au Canada sont des traductions de livres en anglais, par exemple des succès de librairie ou des manuels scolaires populaires. Les livres traduits coûtent plus cher que la version originale. Le dernier facteur concerne la taille du marché de langue française au Canada. Les éditeurs de livres en français ne bénéficient pas d'économies d'échelle.

Par conséquent, les lecteurs de livres en français au Canada paient plus de TPS sur les livres qu'ils achètent que les lecteurs de livres en anglais. Cela peut sembler n'être qu'une petite injustice, mais c'est une injustice que l'adoption du projet de loi S-10 nous aiderait à corriger.

Si je peux prendre quelques minutes du temps du Sénat, j'aimerais lire aux sénateurs une lettre que l'Association québécoise des associations foyers-écoles a envoyée à un de nos collègues, le sénateur Di Nino, il y a deux ou trois jours. Elle dit ceci:

La Fédération québécoise des associations foyers-écoles a adopté la résolution ci-jointe concernant la taxe sur les produits et services sur les livres à sa 55e assemblée générale annuelle, qui a eu lieu le 24 avril 1999. Une copie de cette résolution, sous la forme «nationale», a été envoyée à la Fédération canadienne des associations foyers-écoles afin que les dix autres fédérations provinciales affiliées puissent la ratifier à l'assemblée annuelle de la fédération canadienne, qui aura lieu à Victoria, en Colombie- Britannique, du 6 au 8 juillet 1999.

Nous espérons sincèrement que notre appui à l'égard de votre initiative contribuera à l'élimination de la TPS sur les livres. Nous travaillons depuis de nombreuses années pour faciliter la lecture et l'alphabétisation au Canada, et cette question nous tient beaucoup à coeur.

Nous espérons recevoir de bonnes nouvelles de vous bientôt.

Cela montre que nous ne sommes pas les seuls à demander l'élimination de la TPS sur les livres.

J'ai examiné les coûts et les avantages du projet de loi S-10. Je me joins à la Fédération québécoise des associations foyers-écoles pour demander à tous les sénateurs d'appuyer l'élimination de la TPS sur les livres. J'espère pouvoir compter sur votre appui lorsque ce projet de loi sera mis aux voix.

Son Honneur le Président: Si aucun autre honorable sénateur ne désire prendre la parole, acceptez-vous que l'article soit reporté au nom de l'honorable sénateur Carstairs?

Sécurité et services de renseignement

Adoption du rapport modifié du comité spécial

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Kelly, appuyée par l'honorable sénateur Beaudoin, tendant à l'adoption du rapport du comité spécial du Sénat sur la sécurité et les services de renseignement, déposé auprès du greffier du Sénat le 14 janvier 1999;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Carstairs, appuyée par l'honorable sénateur Fairbairn, c.p., que le rapport ne soit pas adopté maintenant, mais qu'il soit modifié en retranchant la recommandation no 33; et

Que la recommandation no 33 soit déférée au Comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure pour étude et rapport.-(L'honorable sénateur Pépin).

L'honorable William M. Kelly: Honorables sénateurs, j'ai cru comprendre que je pouvais prendre la parole maintenant. J'ai compris d'après ce qu'ont dit le leader adjoint du gouvernement et le sénateur Pépin que je pouvais prendre la parole.

Honorables sénateurs, je voudrais proposer que le rapport soit adopté tel que modifié. Tout d'abord, je voudrais avoir la possibilité de donner des explications.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, étant donné que ce sujet est inscrit au nom de l'honorable sénateur Pépin, je voudrais qu'elle me confirme qu'elle accepte.

[Français]

L'honorable Lucie Pépin: Je suis d'accord avec ce qui est proposé.

[Traduction]

Son Honneur le Président: L'honorable sénateur Kelly, appuyé par l'honorable sénateur Murray, propose: Que le rapport modifié soit adopté maintenant. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

(1640)

Le sénateur Kelly: Honorables sénateurs, la raison est très simple: je trouve que le sénateur Corbin a décrit avec grande éloquence ce qu'on entend par le comité sénatorial dont il est question dans notre rapport. Toutefois, je suis d'accord avec le sénateur Carstairs que cela pourrait mener à une certaine confusion quant à la nature et à l'avenir d'un tel comité. Je pense que la modification proposée par le sénateur Carstairs fournira l'occasion de poursuivre les discussions sur ce point. Par conséquent, je suppose que si le rapport est adopté tel que modifié, l'équilibre sera satisfaisant et le comité pourra revoir la situation et en référer au comité de la réglementation, le cas échéant.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je suppose que nous avons la permission du Sénat pour procéder de la sorte, car il y a deux motions différentes qui ont été regroupées en une seule, sans vote, mais avec l'autorisation du Sénat. Est-ce exact?

Des voix: D'accord.

L'honorable Eymard G. Corbin: Honorables sénateurs, hier soir, j'ai dit que je n'appuierais pas la modification du rapport proposée par le sénateur Carstairs. Toutefois, depuis ses propos fatals, elle m'a expliqué les circonstances, en fait le processus par lequel nous pouvons atteindre l'objectif énoncé dans la recommandation du comité. J'avais mal compris et je suis très gêné, ce qui n'est pas inhabituel pour un politicien. Je fais mon mea-culpa. J'appuie donc la proposition du sénateur Kelly.

Son Honneur le Président: Si aucun autre sénateur ne veut prendre la parole, je vais mettre la motion aux voix.

L'honorable sénateur Kelly, appuyé par l'honorable sénateur Pépin, propose:

Que le rapport du Comité sénatorial spécial de la sécurité et des services de renseignement, modifié par le sénateur Carsairs, soit adopté maintenant.

Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

L'incident concernant le dispositif de sécurité à la Conférence de l'APEC à Vancouver

Motion visant à constituer un comité spécial-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Kinsella, appuyée par l'honorable sénateur DeWare:

Qu'un comité spécial du Sénat soit formé pour examiner, afin de présenter un rapport, le rôle du premier ministre et de son cabinet, du ministre des Affaires étrangères et du Bureau du Conseil privé dans les dispositions prises pour assurer la sécurité de la Conférence sur la coopération économique en Asie et dans le Pacifique tenue à Vancouver en novembre 1997, et la controverse qui a suivi. Il convient plus particulièrement de vérifier la véracité des affirmations selon lesquelles ces dispositions, qui ont donné lieu à des atteintes à la liberté d'expression, de réunion et d'association de citoyens canadiens et au bâillonnement de protestations légitimes, auraient été prises pour des raisons politiques et non pour des motifs de sécurité.

Que sept sénateurs nommés par le comité de sélection remplissent les fonctions de membres du comité spécial, et que trois constituent un quorum;

Que le comité soit autorisé à convoquer des personnes, à faire produire des documents et des dossiers, à entendre des témoins assermentés, à faire rapport de temps à autre et à faire imprimer au jour le jour les documents et témoignages qu'il juge à propos;

Que le comité soit autorisé, lorsqu'il le juge utile, à autoriser la diffusion à la radio et à la télévision d'une partie ou de l'ensemble de ses délibérations;

Que le comité soit autorisé à retenir les services de conseillers, professionnels, techniciens, employés de bureau ou autres éléments nécessaires pour son examen;

Que les partis politiques représentés au sein du comité spécial reçoivent une allocation pour la contribution de spécialistes aux travaux du comité;

Que le comité soit autorisé à voyager à l'intérieur et à l'extérieur du Canada;

Que le comité soit autorisé à siéger pendant les séances et les congés du Sénat;

Que le comité soumette son rapport un an au plus après sa formation, et que si le Sénat ne siège pas au moment où le rapport est déposé, que celui-ci soit considéré comme ayant été déposé le jour où il est remis au greffier du Sénat. -(L'honorable sénateur Carstairs).

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, j'ai eu moi aussi l'occasion de faire un brin de prière avec le sénateur Carstairs, qui a gracieusement accepté de me voir intervenir à ce stade-ci, même si l'ajournement est inscrit à son nom, à la condition que, lorsque j'aurai terminé, la motion d'ajournement reste inscrite à son nom.

Voilà des mois que ce discours dort dans mon coffre. J'avais préparé des notes en vue d'un discours pendant les vacances de Noël. Mais le sénateur Kinsella a tant tardé à présenter sa motion que l'hiver et une bonne partie du printemps ont passé avant que l'occasion ne se présente. Je ne voulais pas attendre encore qu'il ait ouvert un débat, comme il l'a fait hier.

Je suis intervenu parce que je suis d'avis que les problèmes auxquels nous faisons face dans ce domaine vont bien au-delà des événements qui ont donné lieu à la motion du sénateur Kinsella et au débat actuel. À mon avis, le problème a plutôt trait aux essais répétés du gouvernement en vue de subordonner les valeurs juridiques et constitutionnelles aux énoncés administratifs ou politiques.

Il y a deux questions qui me préoccupent tout particulièrement, même à titre de profane. Tout d'abord, les valeurs juridiques et constitutionnelles ne semblent pas jouir de la primauté qui devrait leur revenir et qui existait autrefois au gouvernement. Plutôt que de chercher à modeler leurs actions sur ces valeurs, les politiciens et les bureaucrates tentent plutôt de les contourner.

Ensuite, le manque de rigueur et de vigilance de la part de ces mêmes ministres et fonctionnaires dont la principale responsabilité devrait être de maintenir ces valeurs, de garantir l'application régulière de la loi et de protéger les droits des Canadiens ne nous aide en rien. Je veux parler bien sûr du ministre de la Justice et du solliciteur général. La réunion de l'APEC, qui a donné lieu à la motion du sénateur Kinsella, n'en est que le plus récent exemple. J'ai l'intention de parler de l'APEC, mais j'aimerais porter d'autres sujets à votre attention, non pas pour en débattre de nouveau, mais plutôt pour vous demander de réfléchir à la portée générale du problème que j'ai soulevé.

Les cinq autres épisodes que je désire mentionner en passant sont le premier projet de loi sur le remaniement des circonscriptions électorales, présenté par le gouvernement actuel en 1994, le projet de loi sur l'aéroport de Pearson, l'enquête sur la Somalie, le scandale des Airbus et la Loi sur l'enregistrement des armes à feu, adoptée au cours de la 35e législature. Je le répète, je vous assure que je ne reviendrai pas sur toutes les questions en cause, mais certaines questions sont importantes et ces épisodes comportent des éléments en commun sur lesquels je voudrais attirer votre attention.

Nous nous rappelons tous du projet de loi - un des premiers à être présenté à la Chambre des communes en 1994 - qui aurait retardé la redistribution décennale des sièges à la Chambre des communes. Les commissions de révision des limites des circonscriptions électorales, qui avaient terminé le gros de leur travail, devaient être abolies, de nouvelles commissions devaient être nommées. À la suite de ce projet de loi, les élections de 1997 auraient eu lieu d'après le recensement de 1981 au lieu de celui de 1991. Il a été quelque peu scandaleux de voir comment 30 années d'un processus de remaniement impartial devaient être écartées au profit politique à court terme des députés libéraux de l'Ontario.

On comprend l'indignation, et on sympathise même avec les nouveaux députés, qui voulaient que les limites de «leur» circonscription électorale restent inchangées et qui ont été consternés devant la perspective d'un remaniement des circonscriptions si peu de temps après leur première élection. On comprend leur consternation; cependant, que doit-on penser de l'incapacité du premier ministre et des ministres principaux du Cabinet de protéger l'intégrité du processus contre les demandes déraisonnables du groupe parlementaire de l'Ontario?

En 1994, ce gouvernement était nouveau, mais certains ministres avaient accumulé une longue expérience au Parlement et au sein de gouvernements libéraux précédents. L'un des plus importants de ces ministres, M. Gray, s'est fait le complice de cette tentative de simulacre; en fait, il en a été le parrain.

L'autre question qui se pose, c'est quel genre de conseils le gouvernement a-t-il reçus de ses conseillers juridiques? Cette question a son importance étant donné le poids des témoignages entendus par le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Les cas de jurisprudence qui nous ont été cités ne laissent guère de doute sur le fait que cette attaque contre le principe de la parité relative du nombre de voix était tellement flagrante que le projet de loi n'aurait pas résisté à une contestation judiciaire en vertu de la Constitution.

Plusieurs témoins spécialistes de la loi électorale canadienne, qui n'avaient aucun intérêt personnel à défendre, ont témoigné sur ce point et d'autres. Ce qui était frappant et inquiétant, c'était le refus du gouvernement et de ses conseillers ne serait-ce que de répondre à ces préoccupations. Le caucus et le Cabinet étaient décidés à n'en faire qu'à leur tête, peu importe que cela contrevint aux principes et à la tradition. Heureusement, le Sénat a mis fin à tout cela.

L'autre grande initiative qui a porté atteinte aux valeurs juridiques et constitutionnelles a été le projet de loi C-22 sur l'aéroport Pearson, qui a été adopté à la Chambre des communes en juin 1994. Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a entendu 12 témoins venus de l'extérieur. Tous à l'exception de deux, si je me rappelle bien, ont dit que le projet de loi était inconstitutionnel. Ces experts impartiaux nous ont dit que le projet de loi allait à l'encontre de la primauté du droit, qui est un principe fondamental de notre Constitution. Ils nous ont dit que le projet de loi contrevenait à plusieurs dispositions de la Déclaration canadienne des droits de 1960, qu'elle contrevenait aux obligations internationales du

Canada, y compris à la Déclaration universelle des droits de l'homme, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l'Accord de libre-échange nord-américain. Un témoin au moins a dit qu'elle contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés de 1982. Tous ces témoins indépendants ont concentré une grande partie de leur opposition sur le refus d'accès aux tribunaux prévu dans le projet de loi C-22.

(1650)

Les honorables sénateurs se souviendront que nous avons modifié le projet de loi C-22 en éliminant les passages qui faisaient problème et que nous l'avons renvoyé à la Chambre des communes. Le gouvernement, insensible aux objections sur les plans juridique et constitutionnel, a immédiatement rejeté nos amendements et renvoyé le projet de loi au Sénat.

Nous comprenons tous les fondements politiques du projet de loi, notamment tout ce qui a été dit au cours de la campagne électorale d'octobre 1993 au sujet du contrat au sujet l'aéroport Pearson. Malgré tout, je suis consterné que le Cabinet ait accepté un tel projet de loi. Il existe au Cabinet des poids et des contrepoids qui sont censés, notamment, garantir que les interventions du gouvernement respectent les traditions juridiques et constitutionnelles.

Dans un cas comme celui du projet de loi sur l'aéroport Pearson, les conseillers juridiques du gouvernement, y compris le ministre de la Justice, ont le devoir d'empêcher que le Cabinet accepte de le mettre de l'avant. Leur devoir, sûrement, n'est pas seulement de dire: «Oui, monsieur le ministre» à un collègue, mais parfois aussi de dire: «Non, monsieur le ministre» et parfois même: «Non, monsieur le premier ministre». Ils avaient le devoir de signaler à leurs collègues que le projet de loi était une mesure draconienne et punitive au-delà de ce qui est considéré comme convenable dans la tradition démocratique au Canada. Ils auraient dû signaler à leurs collègues que le projet de loi était sans précédent dans l'histoire du Parlement canadien, depuis l'internement et la saisie des biens des Canadiens d'origine japonaise au cours de la guerre.

Honorables sénateurs, les autorités juridiques et constitutionnelles au gouvernement, du ministre en descendant, n'ont pas, dans ce cas-là, respecté les principes et critères de leur profession. Ils ont accepté trop facilement que le gouvernement abuse de son pouvoir politique. Heureusement, le Sénat a torpillé le projet de loi.

Deux ans plus tard, le gouvernement a mis fin à l'enquête sur le comportement des troupes canadiennes en Somalie et de leurs dirigeants militaires et civils en Somalie et à Ottawa. Je n'ai pas besoin de préciser le caractère honteux des crimes commis en Somalie ni de rappeler les graves accusations d'inconduite portées par la commission contre des personnes occupant des postes de responsabilité, dont la plupart occupent encore de tels postes à Ottawa.

Cette commission était présidée par un juge de la Cour fédérale du Canada. L'un de ses membres était un ancien juge de la Cour supérieure. Le gouvernement avait précédemment évité les questions concernant la Somalie en faisant valoir l'impartialité de la commission et sa détermination à rechercher et à trouver la vérité.

Son Honneur le Président: À l'ordre, s'il vous plaît. Si les honorables sénateurs doivent tenir des conversations, je les invite à le faire à l'extérieur du Sénat afin que nous puissions entendre l'orateur.

Le sénateur Murray: Merci, Votre Honneur.

La recherche de la vérité s'est terminée de façon abrupte après que le gouvernement eut mis fin aux travaux de la commission. Il a été impossible de connaître la vérité au sujet de la responsabilité de ce qui s'était produit en Somalie et par la suite. Le fait que de nombreuses questions concernant la conduite de certaines personnes soient demeurées sans réponse constitue assurément un affront à la justice naturelle.

À l'instar du projet de loi concernant l'aéroport Pearson, la décision de mettre un terme de façon prématurée aux travaux de la commission d'enquête judiciaire était sans précédent. Comment une telle chose a-t-elle été possible dans un pays fondé sur la primauté du droit et dont on a toujours cru que le gouvernement respecterait les traditions juridiques et constitutionnelles?

Honorables sénateurs, le système ne remplit plus son rôle. Il sert plutôt à permettre des abus bureaucratiques et politiques, au lieu de les prévenir. Les principes traditionnels et bien implantés de l'autorité et de la responsabilité dans les deux portefeuilles de la justice ne sont plus respectés. Nous l'avons vu de façon évidente dans deux affaires scandaleuses, celles des avions Airbus et de l'APEC.

Voyez le rôle joué dans le scandale de l'Airbus par les deux ministres dont j'ai parlé, le ministre de la Justice et le solliciteur général. Le ministre de la Justice, qui était procureur général du Canada, ignorait apparemment l'envoi d'une lettre, par un fonctionnaire subalterne aux autorités juridiques d'un pays étranger, qui accusait faussement l'ancien premier ministre de fraude et de corruption. Il est inconcevable que ce genre de chose puisse se produire dans un système gouvernemental où la responsabilité ministérielle constitue le principe constitutionnel directeur. Pourtant, certaines personnes faisant partie du gouvernement actuel ou oeuvrant dans son entourage persistent à défendre ce qui apparaît comme une omission délibérée d'impliquer le ministre. En définitive, cela revient à dire qu'un ministre doit être tenu dans l'ignorance de questions de ce genre, pour qu'on ne puisse pas l'accuser plus tard d'avoir exercé une influence indue.

C'est un commentaire regrettable sur la philosophie qui règne actuellement dans les milieux politiques et bureaucratiques. De nos jours, on fait tout pour protéger les ministres et les hauts fonctionnaires. On leur permet d'éviter l'axe de responsabilité et de recourir à la «possibilité d'opposer un démenti plausible». Est-ce que ce n'était pas essentiellement le cas lors des événements entourant le scandale de la Somalie, le contrat des Airbus et le sommet de l'APEC? La possibilité d'opposer un démenti est l'antithèse d'un gouvernement responsable; c'est l'irresponsabilité officiellement approuvée.

Ceux qui sont choisis pour servir à des postes supérieurs en tirent de nombreuses satisfactions. En retour, ils sont censés établir des normes professionnelles élevées. Ils ne devraient pas tenter de se dérober ou d'échapper à leur responsabilité, qui consiste à prendre des décisions difficiles ou désagréables, ni s'en décharger.

Un des fardeaux que doivent porter les ministres de la Justice et les solliciteurs généraux qui remplissent ces hautes fonctions, c'est qu'ils sont mis au courant de renseignements secrets par la police et les services de sécurité. Ils ont besoin de ces renseignements pour fournir, au nom du Parlement, une orientation politique appropriée à ceux dont ils sont responsables. Ils ne peuvent partager le poids que représente en grande partie la connaissance de ces renseignements avec les membres de leur personnel politique ni même, dans la plupart des cas, avec leurs collègues du Cabinet. Un ministre qui croit si peu en sa propre réputation et en son intégrité qu'il préfère ne pas connaître ces renseignements et recourir à la possibilité d'opposer un démenti plausible ne mérite guère d'assumer un portefeuille.

Dans l'affaire Airbus, le solliciteur général était parfaitement au courant de la demande adressée aux autorités suisses tandis que son collègue, le procureur général du Canada, ne savait rien, nous dit-on. C'est étonnant.

J'ai également été étonné d'apprendre que les notes d'information sur cette affaire ont été rédigées pour la GRC par un membre du personnel politique du solliciteur général. Le personnel politique a un rôle essentiellement partisan. Il ne devrait pas être mis au courant d'enquêtes au pénal ni d'autres questions délicates. Les ministres doivent être informés, car ils ont des comptes à rendre et ce sont eux qui assument la responsabilité, en fin de compte.

Dans le cas de M. Herb Gray, les données montrent que, à titre de solliciteur général, il n'a absolument rien fait pour s'assurer que les mesures prises par la police soient acceptables ni que ses recommandations soient fondées. Il semble également qu'il n'ait pas jugé nécessaire d'informer ni de consulter l'autre ministre directement responsable, le ministre de la Justice et procureur général du Canada.

Au début de l'affaire, le ministre de la Justice, M. Rock, a eu droit pendant un dîner à tous les ragots diffamatoires de la journaliste Susan Delacourt. Les enquêteurs de la GRC échangeaient des rumeurs avec l'auteur Stevie Cameron. Par la suite, avant qu'il ne soit question dans le Financial Post de la fameuse lettre adressée à la Suisse, les spécialistes du conditionnement médiatique des libéraux essayaient de propager l'affaire Mulroney dans les médias. De toute évidence, de l'information était communiquée à des personnes non autorisées. Est-ce ainsi que justice sera faite au Canada à l'avenir?

Ce que nous savons au sujet des événements de l'APEC renforce l'impression selon laquelle le respect du gouvernement pour les valeurs juridiques et constitutionnelles fait gravement défaut. Toute cette affaire est née du fait que le gouvernement a tenté d'utiliser le pouvoir et l'autorité des services de sécurité et de police à des fins politiques ou diplomatiques qui dépassaient les limites convenables des responsabilités ou activités policières.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Murray, je regrette de devoir vous interrompre, mais votre période de 15 minutes est terminée. Demandez-vous la permission de continuer?

Le sénateur Murray: J'espère obtenir l'indulgence du Sénat, car j'arrivais justement à l'objet même de la motion.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, est-ce d'accord?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Murray: Merci, honorables sénateurs.

L'affaire de l'APEC vient du fait que le gouvernement a tenté d'utiliser le pouvoir et l'autorité des services de police et de sécurité à des fins qui, bien que légitimes, étaient politiques et diplomatiques et dépassaient les limites convenables des responsabilités ou activités policières.

Le rôle des services de police et de sécurité lors d'événements comme la conférence de l'APEC est d'assurer la sécurité physique des personnes présentes. Il n'appartient pas aux policiers de veiller à ce que le premier ministre canadien et nos invités étrangers échappent à tout embarras d'ordre politique. Les policiers n'ont pas à veiller à ce que toute manifestation ou protestation publique se tienne loin des yeux et des oreilles du premier ministre et des leaders étrangers.

(1700)

Or, les documents publics révèlent que ces fonctions et autres fonctions connexes ont été imposées par le gouvernement de façon très irrégulière aux services de police et de sécurité, notamment par les conseillers politiques du cabinet du premier ministre. Utiliser les services de police et de sécurité à ces fins constitue un abus de pouvoir qui pourrait probablement mener, comme cela s'est produit, à des violations des droits individuels.

Le problème a été clairement résumé dans un courriel qu'un inspecteur de la GRC a adressé en novembre 1997 à son officier supérieur en ces termes:

Les banderoles ne représentent pas un problème de sécurité, mais un problème politique. Qui s'en occupe? Si les banderoles ne sont pas autorisées, de quel droit les enlèvera-t-on, et qui va le faire?

Cet inspecteur de la GRC savait qu'il y avait une distinction importante à observer entre le véritable mandat de la police, d'une part, et les objectifs politiques et diplomatiques du gouvernement, d'autre part. Les hauts dirigeants des services de police et de sécurité n'auraient jamais dû laisser coopter la police et l'autorité à des fins politiques ou diplomatiques. Comment cela a-t-il pu se produire?

La responsabilité politique des services de police et de sécurité incombe au solliciteur général du Canada. La responsabilité principale de l'intégrité de notre système juridique incombe au ministre de la Justice. Où étaient donc ces deux ministres lorsque les préparatifs en matière de police et de sécurité pour la conférence de l'APEC se faisaient pendant l'été et l'automne de 1997?

Les documents publics révèlent que ce travail a été effectué sous la direction des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, des conseillers politiques et des stratèges des relations avec les médias du cabinet du premier ministre, de même que des secrétaires en matière de politique du Bureau du Conseil privé, qui cherchaient tous à surimposer leurs priorités et leurs critères respectifs à la fonction de police et de sécurité. Les deux ministres les plus directement responsables semblent avoir été écartés par les organismes centraux et les comités interministériels. Honorables sénateurs, le gouvernement par comité interministériel met sens dessus dessous l'autorité et la responsabilité ministérielles.

Dans le cas des portefeuilles touchant la justice, les dangers sont encore plus grands. Il faut rappeler au gouvernement que les services de police et les services de sécurité ne doivent pas simplement être intégrés dans la politique globale du gouvernement. Les gouvernements changent, les politiques aussi. Les forces de police et de sécurité ne doivent pas être loyales à des gouvernements et à des politiques temporaires, mais aux principes et traditions qui sous-tendent notre système démocratique et juridique. Elles relèvent d'un ministre qui doit rendre des comptes au Parlement. Cette relation doit demeurer claire et directe, sans ingérence d'autres organismes ayant d'autres visées. L'intervention d'autres organismes de ce genre dans le travail des forces de police et de sécurité est la cause profonde, à mon avis, des problèmes qui ont entouré le sommet de l'APEC.

Permettez-moi de donner un dernier exemple où nos traditions juridiques et constitutionnelles sont fortement remises en question. Je veux parler de la Loi sur l'enregistrement des armes à feu, adoptée au cours de la 35e législature. Il s'agissait de l'exercice du pouvoir que la Constitution confère au Parlement fédéral en matière de droit criminel. Comme dans la plupart des autres domaines de ce genre, c'est aux provinces qu'il incombe d'appliquer la loi. Dans ce cas, quatre provinces ont contesté la constitutionnalité de la nouvelle loi et c'est la Cour suprême du Canada qui tranchera en définitive. Quel que soit le résultat, au moins trois provinces refusent d'administrer le système d'enregistrement. Il est sûrement sans précédent au Canada que le gouvernement fédéral veuille faire appliquer une nouvelle disposition criminelle malgré une aussi forte opposition des provinces. Il est évident qu'un grand consensus fédéral-provincial est nécessaire pour des initiatives de cette importance, qui touchent certaines des responsabilités constitutionnelles les plus graves des deux ordres de gouvernement.

En l'absence d'un tel consensus, les autorités fédérales défendent maintenant la doctrine la plus extraordinaire, soit celle de l'application irrégulière de la loi dans tout le pays. Les journaux du 27 novembre 1998 citent M. Jean Valin, directeur des affaires publiques du Centre canadien des armes à feu, une direction générale du ministère de la Justice, qui aurait dit:

Si les provinces sont peu disposées à faire respecter la loi [...] elles ont le choix de les interpréter de façon plus ou moins sévère. La loi ne change pas, ce qui change, c'est la façon dont elle est appliquée. L'application de la loi relève encore des autorités policières locales [...] et tous les agents de police vous diront qu'ils jouissent d'une certaine discrétion lorsqu'ils doivent déterminer s'il y a eu infraction ou non. Cette nouvelle a de quoi réjouir l'ouest du pays. C'est comme pour une infraction au code de la route [...] les policiers ont une certaine marge de manoeuvre.

Je m'excuse, honorables sénateurs, mais ce n'est pas comme une infraction au code de la route. Le gouvernement invoque le pouvoir du Parlement en matière criminelle pour imposer des conditions sévères aux propriétaires d'armes à feu. Il justifie cette intervention extraordinaire en disant que cela contribuera à réduire le nombre d'homicides et de suicides. Voilà qu'il conseille aux policiers d'appliquer cette loi comme ils donnent des contraventions. Pour paraphraser un éminent citoyen canadien, le droit pénal n'est pas un magasin général.

Nous savons tous que la fin ne justifie pas les moyens. L'exercice du pouvoir politique ou bureaucratique, même à des fins louables, doit respecter les normes juridiques et démocratiques qui devraient, comme le supposent les Canadiens, constamment régir le fonctionnement de notre régime. Réfléchissez aux principes que le gouvernement a violés dans les six exemples que j'ai donnés: la primauté du droit, l'application régulière de la loi, l'accès des citoyens aux tribunaux, l'indépendance de l'enquête judiciaire, la présomption d'innocence, la responsabilité des ministres pour les mesures prises en leur nom, le pouvoir limité des services de police et de sécurité et l'application uniforme de la loi pénale au Canada.

De l'extérieur de l'appareil gouvernemental, il semble que les dispositions visant à limiter l'utilisation abusive du pouvoir administratif et politique ne sont pas aussi efficaces qu'elles le devraient. De plus, il semble que les titulaires des portefeuilles en matière de justice, et peut-être aussi leurs conseillers, sont, au mieux, confus par rapport à leurs fonctions. Ils doivent assujettir les mesures gouvernementales à des critères plus élevés que la simple commodité administrative ou la realpolitik. Lorsque des principes juridiques ou constitutionnels sont en jeu, ils doivent tenter d'imposer pareils critères à leurs collègues du Cabinet.

Il ne faut pas sous-estimer le poids d'un mauvais précédent. Il ouvre certainement la voie à de nouveaux abus de pouvoir. Lorsque les ministres de gouvernements futurs, qui seront peut-être d'une allégeance politique différente, envisageront quelque chose d'attirant et d'extraordinaire, soit l'exercice du pouvoir, il est certain qu'ils se feront dire que les libéraux dirigés par Jean Chrétien ont agi de la sorte dans les années 90. Pareil argument suffit presque toujours à convaincre celui qui hésite à surmonter ses scrupules.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la question reste inscrite au nom de l'honorable sénateur Carstairs.

La question des soins palliatifs au Canada

Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Carstairs, attirant l'attention du Sénat sur la question des soins palliatifs au Canada, en reconnaissance de la Semaine nationale des soins palliatifs.-(L'honorable sénateur Wilson).

L'honorable Lois M. Wilson: Honorables sénateurs, une de mes petites-filles, Nora Casson, 16 ans, a écrit ceci dans un travail scolaire de rédaction:

Les soins palliatifs, soit les bons soins que l'on prodigue aux malades incurables, constituent une science relativement nouvelle. Les vingt prochaines années verront probablement de nombreuses percées dans le domaine. La plupart des gens demandent qu'on les aide à se suicider parce qu'ils ne veulent pas souffrir ou parce qu'ils ne sont pas assez bien traités. Les soins palliatifs ne constituent pas une priorité pour trois raisons. D'abord, comme nous n'aimons pas nous attarder aux échecs et que nous préférons réussir, nous investissons le plus gros de notre argent dans des traitements visant à guérir les malades. Ensuite, il est difficile de mener des recherches sur les soins palliatifs, car les patients meurent habituellement avant la fin des recherches. Enfin, les soins palliatifs constituent une science empirique qui suscite plein d'émotions chez tous les intéressés. Comme la plupart des sciences n'ont rien d'émotionnel, les soins palliatifs ne sont pas encore reconnus comme une science importante.

Dans beaucoup de traditions religieuses, la vie n'est pas considérée comme la possession de l'individu et l'individu ne peut donc pas y mettre fin. Il y a longtemps que les communautés religieuses offrent de nombreuses formes de soins de santé, s'occupant des malades et des mourants. C'est ainsi qu'elles ont joué un rôle déterminant dans la fondation d'hospices et d'établissements de soins palliatifs dans de nombreuses parties du monde. Ce faisant, elles témoignent de la possibilité que la vie humaine se vive dans la dignité et ait du sens en dépit de la douleur, de la souffrance et de la mort.

(1710)

Dans le monde occidental, de nos jours, nous avons tendance à craindre le vieillissement et la mort et à chercher par tous les moyens à les repousser. Pour nombre d'entre nous, la mort est un sujet tabou, une perspective que l'on craint, l'aveu d'une défaite.

J'étais à un collège universitaire en compagnie de Margaret Laurence, une romancière canadienne bien connue. Quand elle a appris qu'elle était mourante, elle m'a appelée pour me demander de présider à son service funèbre et, ce qui est plus important, pour que je vienne lui parler de sa mort. «Personne ne veut en parler», a-t-elle dit.

Le déni de la mort entraîne nombre de comportements qui ne conviennent pas, comme la demande ou l'acceptation d'un traitement non nécessaire et non bénéfique. Par la suite, la cessation du traitement est souvent source de confusion et de conflits.

Comme vous le savez, en 1995, le comité sénatorial spécial de l'euthanasie et du suicide assisté a étudié la question des soins palliatifs et a fait cinq recommandations à cet égard. J'appuie pleinement ces recommandations et je voudrais faire des observations sur trois questions mentionnées dans le rapport, à savoir les normes nationales, la recherche et le financement.

Lorsque le comité spécial du Sénat a présenté son rapport en juin 1995, une des recommandations, comme vous le savez, portait sur l'élaboration de normes nationales. En octobre 1995, l'Association canadienne des soins palliatifs, qui venait d'être fondée en 1991, a publié un projet de normes en matière de soins palliatifs qui sont axées sur les résultats et qui peuvent s'appliquer aux soins prodigués dans n'importe quel contexte par une équipe interdisciplinaire. Depuis ce temps, 5 000 copies de ces normes ont été distribuées partout au Canada. En 1997 et en 1998, on a tenu une série de 17 ateliers auxquels ont participé plus de 700 soignants pour arriver à un consensus national concernant ces normes. À la conclusion de la première série d'ateliers, on est arrivé à un consensus sur plus de 80 p. 100 du contenu, et pourtant l'appui du gouvernement à l'égard de ce processus n'a été que minimal jusqu'à maintenant.

L'Association canadienne des soins palliatifs est sur le point de lancer une deuxième série d'ateliers de recherche de consensus dans le but de publier un document final à l'été de l'an 2000. Même si ce sera là une importante réalisation en soi, ce sera un défi encore plus grand que de voir à ce que les plus de 500 programmes offrant des soins palliatifs respectent ces normes établies par consensus.

Il a été déterminé que la recherche accrue sur les soins palliatifs était une importante stratégie afin d'améliorer la qualité des soins pour les malades en phase terminale et leurs familles. L'Association canadienne des soins palliatifs a cerné huit secteurs clés pour la recherche. Je vais faire quelques observations sur un des ces secteurs, puisqu'il n'est habituellement pas considéré comme une priorité en matière de recherche. Il s'agit des préoccupations existentielles et spirituelles.

Il faut faire de la recherche fondamentale sur la question du sens de l'existence et sur la question des gens qui risquent de souffrir à cause de préoccupations spirituelles à la fin de leur vie. Y a-t-il d'autres moyens de réduire la souffrance de ceux qui ne voient aucun sens à l'existence? Quel genre d'aide les soignants peuvent-ils fournir aux personnes et aux familles en réponse à des préoccupations spirituelles? Quelles approches utilise-t-on dans différentes cultures pour donner un sens à l'existence à la fin de la vie? Ce n'est qu'un des huit domaines où il faut faire de la recherche.

Les enquêteurs sur les soins palliatifs peuvent apporter un important leadership en donnant une orientation plus large à la recherche, ce qui pourrait servir dans beaucoup d'autres secteurs de la recherche médicale. La recherche biomédicale, par exemple, est très différente de la recherche sur les soins palliatifs. La recherche biomédicale traditionnelle est axée sur la recherche d'un traitement tandis que la recherche sur les soins palliatifs porte sur de nouveaux moyens d'alléger la souffrance lorsqu'un traitement n'est pas possible. La recherche biomédicale met l'accent sur les mécanismes fondamentaux pouvant conduire à de nouveaux traitements des maladies, tandis que la recherche sur les soins palliatifs est axée sur les mécanismes de même que sur la façon dont le malade vit sa maladie au sein de sa famille. La maladie est bien plus qu'une affection: le concept de maladie englobe la façon dont le malade vit son affection et son traitement de même que le sens que revêtent ces événements pour le malade, sa famille et sa collectivité. La recherche biomédicale peut être importée d'un autre pays, ce qui n'est pas le cas de la recherche sur les soins palliatifs parce qu'elle ne s'appliquera pas nécessairement au contexte culturel de beaucoup de Canadiens. Il nous faut évaluer les approches nous permettant d'aider les nouveaux arrivants à soutenir leurs proches confrontés à la mort en respectant leurs valeurs culturelles.

Il faut s'engager dans les huit secteurs de recherche simultanément si nous voulons faire de véritables progrès. Tous ces types de recherche sont nécessaires et doivent être en harmonie avec les structures proposées pour l'Institut canadien de recherche en santé, une initiative prise par le gouvernement fédéral en février 1998. L'Institut propose que la recherche en santé au Canada permette de situer la recherche sur les soins palliatifs dans un cadre qui ne soit pas dissocié des autres types de recherche en santé.

Il faut se rappeler que les améliorations dans les soins aux personnes mourantes ont toujours été précédées de percées importantes dans le domaine de la recherche. Des travaux de recherche fondamentale ont permis de repérer les centres de contrôle du cerveau qui influent sur la nausée et le vomissement et d'élaborer des médicaments qui contribuent grandement à réduire ces problèmes chez les personnes mourantes. La mise au point du mode d'administration des solutés et des médicaments a transformé la capacité de s'occuper des patients mourants en milieu familial. On a établi que le désir de mourir était fortement associé à la dépression chez les patients mourants, ce qui a donné d'importants renseignements ayant servi à orienter la politique sociale au Canada. L'établissement de mesures de la satisfaction des familles en ce qui concerne les soins et la qualité de vie des personnes mourantes offre une base permettant d'évaluer l'efficacité de différentes démarches.

Toutes ces activités sont tributaires d'un financement accru et du soutien de nouveaux experts cliniques, qui joueront un rôle de chef de file afin de faire progresser le domaine pour la prochaine génération. Les chercheurs doivent bénéficier de périodes de protection pour poursuivre des programmes de recherche systématiques et à long terme. De la sorte, ils pourront se consacrer à des travaux de recherche et de formation sur le terrain.

Par le passé, une grande partie du financement de la recherche portant sur les soins palliatifs a pris la forme de petites subventions affectées à des projets précis. Toutefois, les grand pas en avant sur le plan des connaissances exigent un financement à long terme de la recherche régie par des programmes, du genre de celui dont bénéficient les scientifiques du domaine biomédical. C'est donc dire qu'un expert clinique se consacrant aux soins palliatifs devrait pouvoir s'adresser tous les trois à cinq ans à un important organisme de financement en vue d'obtenir une subvention pour appuyer les travaux de recherche en cours. Les experts cliniques financés par l'État devraient avoir droit au renouvellement de leur subvention pendant toute la durée de leur carrière. Grâce à cette approche, une entreprise de recherche bénéficierait d'une stabilité qui permettrait aux experts cliniques de conserver le personnel de recherche qu'ils ont recruté et formé sur un certain nombre d'années. Ces membres du personnel de recherche jouent un rôle de premier plan dans la découverte et la mise en application de nouvelles connaissances dans le domaine des soins palliatifs. Si une telle démarche n'est pas appuyée, il pourrait fort bien en résulter des souffrances inutiles pour les patients mourants et leurs familles, ainsi que des pressions accrues en faveur de l'euthanasie et de l'aide au suicide. Si elle est appuyée, cependant, tous les Canadiens pourront bénéficier de soins terminaux attentionnés, même en dépit de leur souffrance.

(Sur la motion du sénateur Corbin, le débat est ajourné.)

[Français]

(1720)

L'Afrique

La visite d'État du Gouverneur général en Côte-d'Ivoire, en Tanzanie, au Mali et au Maroc-Interpellation-Ajournement du débat

L'honorable Eymard G. Corbin, ayant donné avis le jeudi 18 mars 1999:

Qu'il attirera l'attention du Sénat sur ses observations et réflexions découlant d'un séjour de 16 jours en Afrique en compagnie de leurs Excellences le Gouverneur général du Canada le très honorable Roméo LeBlanc et son épouse Madame Diana Fowler LeBlanc qui effectuaient une première visite d'État canadienne en Côte-d'Ivoire, en Tanzanie, au Mali et au Maroc.

- Honorables sénateurs, évoquer la visite d'État du Gouverneur général du Canada, en février 1999, dans quatre pays africains, rencontre à laquelle j'ai participé, m'est un prétexte pour partager avec vous mes préoccupations et mes espoirs pour l'Afrique, prise dans son ensemble. Les commentaires que je ferai sont le fruit de plus de 25 ans de rencontres prévilégiées, de contacts, de lectures et de visites sur place. Je ne prétends aucunement être qualifié pour aborder de façon experte le défi africain, n'ayant en tout premier lieu jamais voyagé dans tous les pays et n'y ayant séjourné que pour de très courtes périodes. Je n'ai jamais participé non plus à la dimension humanitaire du défi africain, c'est-à-dire au travail, en particulier, des organisations non gouvernementales et aux nombreuses initiatives de caractère privé. Par contre, je sais que cela existe et je sais qu'on fait du bon travail. Aujourd'hui, je veux me concentrer sur la dimension politique des problèmes et des conditions de notre implication dans le développement de l'Afrique.

J'ai établi quatre volets principaux à mon intervention. Après des observations d'ordre général, je m'arrêterai un moment sur les défis que présente la démocratisation en Afrique. Je vous parlerai des propos tenus par l'honorable Diane Marleau, la ministre de la Coopération internationale, à la Banque de développement africain et pour conclure, j'établirai un parallèle avec la nouvelle politique néerlandaise en matière de développement.

Lorsqu'on parle de l'Afrique, doit-on le faire au singulier ou au pluriel? Y a-t-il une Afrique ou des Afriques? Quelle est la référence identitaire des Africains eux-mêmes?

L'Afrique est un continent comportant 53 États où vivent au-delà de 800 ethnies qui s'expriment dans des multitudes de parlers, de traditions et de cultures. Certains ont subi historiquement des influences phéniciennes, romaines et arabes; de la deuxième influence, il ne reste que des ruines, mais plus récemment, des apports européens, islamiques, indiens, chrétiens sont comme restés imbriqués dans la nouvelle société africaine. Il y eut l'ère coloniale, postcoloniale et maintenant, le présent.

Comment parler de l'Afrique dans une perspective objective, en toute franchise, sans blesser et en fuyant comme la peste un air de condescendance? Parler «africain», de façon à respecter l'âme africaine, les choix africains, cela est très difficile pour nous, Nord-Américains. J'ai personnellement vécu des expériences heureuses sous ce rapport. J'ai refait et repensé bien des passages de mon propos, car j'ai constaté que même notre vocabulaire décrivant nos rapports avec l'Afrique est en évolution constante. Je vous avoue mon impuissance à saisir intellectuellement l'immensité culturelle de ce continent et à essayer de comprendre ses variantes et ses tensions politiques souvent exacerbées par les conflits qui constituent la réalité derrière le masque des premières impressions, mais que semble soutenir avec une certaine véracité la suite des événements.

Cinquante-trois États où les périodes précoloniale, coloniale et postcoloniale sont toujours des données vives dans les mentalités, dans les institutions comme dans les frontières politiques artificiellement imposées pour la plupart. L'Afrique est une terre d'extrêmes, qui recèle néanmoins un potentiel inouï, pour autant l'objet de convoitises, d'exploitation et de destruction comme, par exemple, au Sierra Leone. Berceau de l'humanité, la terre africaine est aujourd'hui occupée par des peuples engagés dans une marche évolutive souvent difficile vers la démocratie d'un type qui s'invente et s'ajuste aux réalités du terroir et des mentalités, qui se veut respectueuse des valeurs traditionnelles, qui revêt un visage ou des visages authentiquement africains. Le colonialisme a laissé moins de ruines que des façons d'agir, de penser et des modes d'association et de commerce qui font office de liens avec le reste du monde, mais qui ne constituent pas nécessairement d'heureuses solutions pour la régie interne. Ce qui n'a pas empêché le ferment autochtone de continuer à se développer et de s'exprimer à son rythme et à sa façon, parfois en innovant.

L'Afrique, c'est aussi le visage dérangeant de la pauvreté dans des conditions d'existence ahurissantes, des taux de natalité explosifs et des taux de mortalité infantile parmi les plus élevés de la planète. C'est une pauvreté qui pourrait même mettre à risque la pérennité des institutions démocratiques bourgeonnantes, selon certains commentateurs. Pourtant, que de peuples fiers et assoiffés de justice!

Distante toujours pour nous, Nord-Américains, l'Afrique est souvent perçue à travers le verre dépolissant et distordant de l'opinion, de la propagande, d'une certaine presse, quand ce n'est pas le mensonge tout cru qui nous est véhiculé.

L'Afrique contient aussi tellement de promesses d'avenir! Il y a ici et à là, à travers la corruption et les abus de pouvoir, de solides percées vers une authentique démocratie, reliées bien plus à la personnalité du jour qu'à la solidité et à la permanence des institutions dans un État de droit et de justice. Mais la corruption politique, le détournement de fonds, l'étouffement de la liberté ne sont assurément pas le monopole de l'Afrique. Nous n'avons qu'à regarder dans nos armoires pas toujours très propres.

Si le colonialisme a souillé l'Afrique, et l'a parfois corrompue par l'encouragement du mauvais exemple, il n'a pas réussi a étouffer son âme. Le rassemblement sous l'arbre à palabres conserve toute son importance, bien que la sagesse des anciens se bute à une jeunesse de plus en plus impatiente. C'est non seulement le choc des cultures, mais le choix des valeurs qui conditionnent les options d'avenir.

L'humanité africaine explose. Cinquante pour cent de la population malienne est âgée de moins de 15 ans. Le Niger est le pays le plus pauvre, mais aussi le plus prolifique. Qui s'en préoccupe au Canada?

Le secret et la sécurité du vote, pratiques électorales bien implantées chez nous, ne sont pas nécessairement l'approche africaine traditionnelle vers une expression démocratique. L'Afrique, hélas, sauf les exceptions, est une terre affligée de dictature, de despotisme, d'exploiteurs, de brigands et même d'esclavagistes. Elle est sujette à des bains de sang, à des massacres abominables, à des haines fratricides, comme nous l'a rappelé le Biafra et, plus récemment, le Rwanda et les tueries insensées et incontrôlées en Algérie.

Parmi les exceptions, il y a le président Nelson Mandela, de l'Afrique du Sud, qui se retirera bientôt de la scène politique. Au Mali, il y a Alpha Konaré, dont le deuxième mandat se terminera en l'an 2002. Contrairement à d'autres chefs africains, le président malien ne veut pas causer une entorse à la Constitution du pays pour s'accorder un troisième, un quatrième, aussi bien dire un mandat à perpétuité. Que de déceptions sous ce rapport dans d'autres pays où la limite constitutionnelle change de borne au gré des dirigeants du jour!

Honorables sénateurs, vous m'accuseriez, et en premier lieu les Africains eux-mêmes me le reprocheraient amèrement, de caricaturer l'Afrique. Pourtant, je crois avoir bien analysé certaines situations à partir de documents crédibles et de rencontres personnelles. Il me presse toutefois de dire que l'impression générale ne se transpose pas fidèlement sur chaque pays. Dans certains, c'est mieux, dans d'autres, c'est pire. Dans d'autres encore, c'est ce qu'il y a de plus scandaleux.

(1730)

L'Afrique n'est sûrement pas facile à déchiffrer. Il nous est néanmoins difficile de comprendre et d'accepter la surexploitation, l'esclavage, la présence de bandits à gage qui terrorisent et mutilent les populations et se moquent des autorités légitimes. Les économies nationales sont complètement effondrées dans certains pays, mais artificiellement soutenues par des intérêts étrangers privés et gouvernementaux.

La liberté de la presse, un sujet cher à mon coeur, est inexistante ou bafouée dans nombre d'États. L'armée se gorge de la graisse des petits quand elle ne les égorge pas tout simplement ou ne laisse pas crever des ethnies entières. Il y a le scandale des enfants-soldats, comme nous l'a dit le président du Mali, Alpha Konaré, et ainsi de suite.

Le danger qui peut nous guetter, nous, Nord-Américains, c'est que nous nous habituions à une certaine perception de l'Afrique pour en tirer une fausse conclusion. Nous nous disons, et je l'ai entendu moi-même:

C'est comme cela; ils sont comme cela; il n'y a rien à faire. Pourquoi s'en faire?

Pourtant, je veux croire qu'il y a une autre Afrique en devenir.

Car l'Afrique a aussi un autre visage. Il s'y trouve beaucoup de bonne volonté. Le contexte n'est pas toujours propice à son épanouissement, mais le grain germé a plus de chance d'arriver à maturité. Il y a tout de même de belles réussites. L'important est que l'Afrique avance à son rythme et à sa façon. Cependant, elle ne saura le faire sans l'aide déjà trop insuffisante, souvent tardive ou mal ciblée, des pays de l'Europe, de l'Amérique ou de l'Est. L'important est que l'Afrique puisse un jour atteindre sa propre vitesse de croisière. Nous avons le devoir de faire confiance à l'Afrique, mais pas à n'importe quel prix.

L'Afrique est toujours à la recherche de ses formules démocratiques. Les pochoirs parlementaires anglais, français, américains ou canadiens, pas plus que les idéologies tardivement arrivées et presque aussitôt reparties, comme le communisme, ne sauraient s'imposer en quelque pays que ce soit en Afrique. On y a puisé en passant ce qui pouvait faire l'affaire, surtout sur le plan de l'économie.

Les États-Unis d'Amérique, qui font actuellement une poussée en Afrique, feraient bien d'y penser. La démocratie à l'américaine n'est pas une valeur absolue imposable tantôt à la Chine, tantôt au Ghana. Sadikou Ayo Alao, président du GERDDES-Afrique, le Groupe d'étude et de recherche sur la démocratie et le développement économique et social en Afrique, lorsqu'il a pris la parole à la conférence sur le bilan de la démocratisation en Afrique, une initiative de l'Association des parlementaires francophones tenue à Libreville, au Gabon, au printemps de 1998, disait au sujet du colonialisme parlementaire, et je le cite:

[...] au-delà des principes universels de la démocratie, il reste suffisamment de place pour permettre à chaque modèle constitutionnel et institutionnel de porter la marque du peuple auquel il est destiné, compte tenu de son histoire, de sa culture et de ses réalités socio-économiques. Donc, il n'est pas indispensable de se référer à un modèle quelconque pour mettre sur pied une constitution et des institutions démocratiques.

Il a ajouté ceci:

[...] l'essentiel doit être la permanence de la recherche dans notre démarche en matière de développement démocratique et économique.

Car pour lui, et je le cite encore:

Seule la dynamique de la recherche en matière institutionnelle et économique peut amener l'Afrique vers le développement durable.

Je n'ai pas l'intention aujourd'hui de commenter toutes les rencontres dans chacun des pays visités en février lors de la visite d'État, comme le sénateur Comeau d'ailleurs, qui faisait aussi partie de la visite, bien que nous aurions beaucoup de faits intéressants à vous communiquer. Je concentrerai plutôt mon intervention sur un aspect des relations du Canada avec l'Afrique.

J'ai été fortement impressionné par une séance de travail le 16 février avec les dirigeants de la Banque africaine de développement, la BAD, une institution clé pour l'Afrique, dont le siège est à Abidjan, en Côte-d'Ivoire. On a procédé récemment à un très grand ménage dans cette institution. Des Canadiens y ont directement participé, avec des effets heureux. En fait, je le dis avec une certaine fierté, nous pouvons être fiers de la qualité des femmes et des hommes que nous prêtons ou qui nous représentent en Afrique. Il ne fait aucun doute que le travail de nos ambassadeurs et représentants à l'étranger est pour beaucoup dans les bons résultats et dans la qualité de notre partenariat avec les gouvernements et les entreprises en Afrique. Ils sont des modèles d'intégrité et de dévouement inlassable.

La franchise du propos que Mme Marleau a tenu devant les dirigeants de la BAD m'a rassuré dans ma conviction que le Canada n'accorde pas son aide aux pays africains les oreilles bouchées et les yeux fermés.

Nombre de Canadiens doutent de l'efficacité de notre aide à l'Afrique; d'autres, y compris un sénateur qui prenait ici la parole il y a quelques semaines sur l'aide au développement, et j'ai nommé le sénateur Wilson, disent que nous n'y consacrons pas une assez grande part de nos budgets nationaux.

Son Honneur le Président: Je regrette de vous interrompre, mais votre période de 15 minutes est terminée. Est-ce que la permission est accordée afin que le sénateur Corbin poursuive son discours?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Corbin: Nous devons d'abord et avant tout être rassurés que toutes nos contributions, petites ou considérables, sont frappées de l'exigence de la transparence et qu'elles atteignent effectivement les objectifs visés.

Mme Marleau a d'ailleurs affirmé, et je la cite:

La corruption est un sujet crucial; il faut en parler. Il faut discuter ensemble pour oser espérer l'enrayer.

Peut-on exiger plus de franchise dans l'expression des préoccupations canadiennes vis-à-vis l'aide multiforme que notre pays consacre au développement dans le monde?

Voilà le hic. Comment contourner les régimes et les administrateurs qui s'enrichissent par des détournements et un népotisme éhonté aux dépens des populations visées par l'aide étrangère? Mme Marleau parle non seulement au nom de gouvernement canadien, mais aussi au nom d'un large segment de nos concitoyens. L'Afrique doit apprendre à s'aider elle-même, à s'épurer elle-même. Comme l'a exprimé Mme Marleau, et je cite:

Par sa vision, la Banque viendra dire au reste du monde comment elle compte s'y prendre pour façonner une Afrique à son image, une Afrique où régnera la confiance et où les affaires pospéreront dans le plus grand intérêt de tous les Africains, surtout - je l'espère - des plus pauvres.

D'ailleurs, cinq priorités ont été identifiées dans cette lutte contre la pauvreté: la satisfaction des besoins humanitaires les plus fondamentaux; la bonne gouvernance; le développement rural; l'environnement; l'égalité des sexes, tant dans l'éducation que dans la conduite de la vie sociale et politique.

Le défi de la bonne gouvernance s'adresse en priorité aux dirigeants et administrateurs africains eux-mêmes. Mme Marleau a fermement insisté là-dessus, et je cite:

Il est d'ailleurs bien établi que le développement économique doit aller de pair avec le développement des consciences.

Elle a poursuivi ainsi, et je cite:

Le Canada se réjouit de constater les progrès enregistrés en Afrique à ce chapitre, ainsi qu'à ceux de la transparence, de la tenue d'élections libres, de l'implication de la société civile, des normes de conduite ainsi que des processus équitables.

(1740)

Voilà des nouvelles encourageantes. De mon côté, je serai encore plus catégorique: si l'on veut atteindre une authentique transparence, il faut qu'on accorde une fois pour toutes une véritable liberté de parole aux journalistes; qu'on cesse l'emprisonnement arbitraire quand ce n'est pas l'assassinat pur et simple des journalistes, comme ce fut le cas récemment au Burkina Faso, nom qui veut dire: «Le pays des hommes intègres». Car ce sera sous ce signe qu'on pourra enfin conclure à une vie démocratique, débordante au-delà des élections libres, des parlements ouverts, des chefs politiques respectueux de la Constitution, et d'une justice à toute épreuve. Il ne peut y avoir d'authentique démocratie sans une authentique liberté d'expression de tous les éléments constituants de cette démocratie, la presse incluse.

D'autres pays ont perdu patience avec bien des pays en situation de sous-développement. Le Canada n'est pas le seul partenaire de l'Afrique à définir les conditions de son aide.

En février dernier, la ministre néerlandaise de la Société de développement au ministère des Affaires étrangères annonçait que le gouvernement des Pays-Bas concentrerait désormais son aide structurale bilatérale à un nombre limité de pays, en précisant les considérations qui avaient mené à son cheminement politique ainsi que les critères retenus dans la sélection des pays ciblés.

Je vous ferai grâce aujourd'hui de la lecture de ce document de huit pages que m'a aimablement transmis le chargé d'affaires de l'ambassade des Pays-Bas, bien que je vous en recommande fortement la lecture. Vous lirez à quel point nos deux pays se préoccupent des problèmes de la transparence et de la reddition des comptes.

Cependant, et pour les fins de mon propos sur l'aide canadienne en Afrique, je veux vous citer deux ou trois brefs extraits de ce document qui illustre les préoccupations des Hollandais quant à la réduction de leurs programmes d'aide un peu partout dans le monde. Je cite:

[Traduction]

(1740)

Il y a deux raisons de concentrer l'aide bilatérale sur un nombre limité de pays:

On est de plus en plus d'accord à l'échelon international sur les conditions à remplir pour que l'aide soit efficace. L'aide est beaucoup plus efficace dans les pays avec un bon gouvernement et une bonne politique. Il est essentiel à présent que les donateurs tirent les conclusions appropriées de ce consensus international et les mettent en pratique.

La conduite à suivre la plus logique est de concentrer l'aide sur les pays les plus démunis, mais la qualité du gouvernement et de la politique doivent aussi compter pour beaucoup dans le choix des pays admissibles à l'aide bilatérale.

Cela suppose qu'il faut évaluer la qualité des politiques gouvernementales, surtout la politique sociale, la politique macroéconomique et la politique structurelle et économique. Dans le cas de la politique sociale, une attention particulière a été accordée à la composition des dépenses publiques et à la mesure dans laquelle les dépenses visaient à réduire la pauvreté. Les efforts du pays en ce qui concerne l'environnement et la problématique homme-femme ont aussi été pris en considération.

En ce qui concerne la qualité du gouvernement, la ministre néerlandaise a dit ce qui suit:

C'est un domaine de vaste portée et il a été tenu compte de plusieurs critères, dont l'intégrité de l'appareil gouvernemental, la prévention de la corruption, la transparence au niveau de la gestion des fonds publics, la surveillance des dépenses publiques, l'étendue de la participation du public, la séparation des pouvoirs, la certitude juridique, la démocratisation et le respect des droits de l'homme. On a aussi pris en considération le niveau relatif des dépenses consacrées à la défense. Ces indicateurs et d'autres ont été utilisés afin d'évaluer la performance d'un pays sur le plan de l'administration. Le facteur décisif est celui qui consiste à savoir si le gouvernement a - et manifeste - la volonté politique de créer les cadres sociaux indispensables pour le développement.

[Français]

En faisant preuve de fermeté, je crois que le Canada réussira mieux que par le passé. Il y aura parfois des risques et des erreurs de parcours, admettons-le. Il faut bien retenir cependant que tout retrait d'assistance, sous quelque forme que ce soit, d'un pays africain ne fera qu'aggraver davantage la misère de bien des populations qui rasent le plus bas dénominateur de la plus abjecte pauvreté et du plus absolu abandon. Ce n'est pas ce que veut le Canada.

D'autre part, en Afrique, qu'on se le dise et qu'on le prenne pour acquis, on comprendra désormais que l'aide canadienne est reliée à des règles précises. La volonté du Canada est surtout d'atteindre ces 40 à 45 p. 100 de la population, des femmes pour la plupart, qui vivent dans des conditions de pauvreté abjecte.

Honorables sénateurs, il n'y a pas de formules magiques, mais il y a des exigences et des exemples. Il nous appartient d'insister. Le message du gouvernement canadien, formulé par Mme Marleau à la Banque africaine de développement, dont nous sommes partenaires, fut clair, net et sans équivoque. C'est un franc-parler qu'on n'a pas souvent entendu sur le sol africain. J'espère que son propos fait beaucoup jaser en Afrique.

Je vous disais au début de mes remarques que c'était la visite d'État du Gouverneur général, à laquelle j'ai eu l'honneur de participer avec mon épouse, qui m'incitait à vous parler de l'Afrique aujourd'hui. Je m'en voudrais de ne pas souligner, avant de terminer, que Son Excellence le Gouverneur général prit part généreusement à nos rencontres parlementaires, malgré un horaire fort chargé. Qui plus est, il insista pour que tous les parlementaires soient présents et participent activement aux échanges de vues avec les plus hautes instances de chaque pays: le roi, les présidents, les premiers ministres, les membres du conseil des ministres. Cela constituait pour nous non seulement un privilège insigne, mais aussi une occasion d'enrichissement personnel incalculable sur le plan de l'expérience politique.

Le temps me manque et je risquerais d'abuser de votre patience déjà très généreuse à mon endroit en poursuivant mon propos aujourd'hui. J'ai l'intention de revenir un jour à d'autres volets de cette Afrique à la fois accueillante et mystérieuse. Je suis sûr que le sénateur Comeau voudra à son tour vous entretenir des impressions qu'il a recueillies pendant son voyage.

En tout dernier lieu, honorables sénateurs, je voudrais vous dire que si deux sénateurs du Sénat canadien ont pu participer à cette visite d'État avec le Gouverneur général du Canada, nous le devons à l'insistance du Président du Sénat, l'honorable Gildas L. Molgat. Il insista pour que le Sénat fasse dorénavant partie des ces visites d'État au même titre que la Chambre des communes. Votre Honneur, nous vous en remercions.

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, je propose l'ajournement de ce débat.

Son Honneur le Président: Il est proposé par l'honorable sénateur Comeau, appuyé par le sénateur DeWare, que ce débat soit reporté à la prochaine séance du Sénat. Vous plaît-il, honorable sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Corbin, le Président ne doit pas prendre la parole, mais je veux vous remercier pour vos très bons mots.

(Sur la motion du sénateur Comeau, le débat est ajourné.)

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 2 juin 1999, à 13 h 30.)


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